Platon, Le Sophiste, analyse du dialogue
- Le 02/08/2012
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Etude du logos de Platon dans le Sophiste
Etude du logos platonicien
Le Sophiste
*** Fiche bac synthèse
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Introduction
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Questions reformulées
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Problématisation
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Le langage dans le Sophiste
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Le logos chez Platon
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Analyse et définitions proposées dans le dialogue
Après un court préambule entre Socrate, Théodore, l'Étranger et Théétète, le dialogue s'engage entre ces deux derniers par une tentative de définir le sophiste. La méthode à employer est une succession de dichotomies - dialectiques. La méthode prouve son efficacité par la pêche à la ligne, et le choix du pêcheur n'est pas un hasard, car celui-ci est défini par opposition à la chasse des animaux terrestres : Parmi les hommes qui capturent leur proie, on peut distinguer ceux qui les pêchent et ceux qui les chassent à terre.
Le sophiste lui est un chasseur d'animaux terrestres, les hommes. En poursuivant les dichotomies, on peut aussi dire qu'il chasse les hommes riches, qu'il veut s'enrichir, et qu'il le fait par des discours. Le sophiste est un marchand de discours. Les problèmes commencent quand l'étranger avec Théétète parvient avec cette méthode à donner 6 différentes définitions du sophistes
- Comme chasseur intéressé par les jeunes gens riches
- Comme marchand des connaissances à l’usage de l'âme
- Comme commerçant en détail des connaissances à l’usage de l’âme
- Comme un fabricant des sciences qu’il vend
- Comme un athlète au combat des paroles, en lutte des raisonnements, faisant métier de la discussion
- Comme purificateur
NB : Ici, la purification se dit en grec ancien καθαρτικὸν - mot à rapprocher du mot κάθαρσις, pouvoir de séparer l’âme de son ignorance crasse : ne point savoir et croire que l’on sait. La dialectique entend le sophiste qui, en toute honnêteté et noblesse, montre à son élève les contradictions dont il est la proie par ignorance, et purifie ainsi son âme
Le problème posé par le sophiste
Ayant obtenu six définitions de son art, le sophiste montre sa prétention encyclopédique : il se prétend spécialiste en tout et contredit tout le monde sur tous les sujets. Or, il est absolument impossible de tout connaître. C'est donc que son art est un jeu : le jeu de la mimétique : le sophiste ne parle pas des choses réelles, il ne fait que les imiter. Il crée des illusions et non pas une vraie copie des choses. Le sophiste parle, mais ne parle de rien. Il rend possible une grande difficulté : dire quelque chose sans pourtant être dans le vrai
Le sophiste semble donc se définir par une attitude sur le discours : tout discours est forcément vrai car le non-être n'existe pas ; « La difficulté réside dans la possibilité même de prononcer des propositions fausses : une proposition pour être une proposition doit parvenir à dire quelque chose, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait quelque chose que l'on énonce. Mais en grec ordinaire et en grec philosophique, une proposition fausse est une proposition qui dit quelque chose qui n'existe pas. »
Thèse du dialogue
- Comment dire ce qui n'est pas
Le sophiste se cache dans l'obscurité du non-être. Pour le débusquer, après une tentative de définition dialectique du sophiste qui n'aboutit pas, Platon critique Parménide et sa thèse sur l'être et le non-être, redéfinit la participation de l'être et du non-être et parvient finalement à définir le sophiste. Pour penser la possibilité des fausses propositions, Platon essaye de clarifier deux sources de confusion : d'une part quel sens faut-il attribuer à la conjonction « ne pas » dans « ne pas être » et d'autre part comment penser la valeur d'une proposition en termes de prédication (attribuer à quelque chose une caractéristique particulière)
Problème autour de l'être et du non-être
Penser le non-être est doublement difficile car il faut penser à la fois la négation et l'être. Après une première interrogation sur le non-être, Platon s'interroge sur l'être qui est aussi problématique que le non-être. Après avoir critiqué Parménide et sa vision de l'être, Platon revient sur la question du non-être. Ceci suppose le non-être ; or, Parménide dit qu'il faut détourner sa reflexion du non-être : le non-être, on ne peut même pas le nommer, c'est déjà un abus de langage.
Le problème du non-être
Arguant Parménide, le Sophiste à qui l'on reprochera de ne faire que des images de la réalité demandera ce qu'est une image, si l'image platonicienne se définit comme un entrelacement d'être et de non-être.
Les sophistes arrivent à parler du non-être, puisqu'ils créent des illusions pour tromper les gens riches. Et même l'étranger y arrive, ne serait-ce qu'en disant qu'il est imprononçable et impensable. Cela semble être une auto-contradiction de dire que le non-être est ceci ou cela. Car on parle de lui comme d'une unité existante, ayant certaines propriétés. Le non-être devrait seulement ne pas être. Or ce n'est pas le cas, puisque les sophistes ou l'Étranger en parlent. La seule solution possible est donc de s'opposer à la thèse de Parménide, pour qui seul l'être est. Même le non-être doit avoir un certain être.
Sans cela en effet, il serait impossible de critiquer les sophistes. On ne pourrait dire qu'ils mentent, puisque le faux étant le non-être, ils ne pourraient rien dire de faux. Pour dire que les sophistes mentent, il faut donc qu'ils puissent parler du non-être, c'est-à-dire de ce qui est faux. Il faut pouvoir dire que ce qui n'existe pas existe, et que ce qui existe n'existe pas. Les notions d'être et d'un, au centre de la philosophie de Parménide, si elles ne sont pas révisées, nous laisseront impuissants face aux sophistes.
Le problème de l'être
Doctrines dualistes et unitaires
Du problème de l'être provient la critique des thèses courantes en philosophie. D'abord, les doctrines pluralistes : c'est dire que l'être est un et multiple comme d'autres disent qu'il est amour et haine ou bien que le tout est un. C'est appeler le « un » deux. Ensuite, critique des thèses unitaires : l'être est le un, l'être est le tout. Platon critique ces thèses : dire que l'être est le un, outre que l'on utilise deux mots pour désigner l'unité, est impossible : ou bien le nom de l'un est différent de la chose qu'il désigne et on retombe dans la dualité, ou bien le nom coïncide avec la chose qu'il désigne et alors ce n'est qu'un mot qui ne recouvre qu'un mot, ou alors il faut isoler le « un » du reste et finalement ce mot ne renvoie qu'à lui-même. De même, dire que l'être est le tout est impossible : dire « l'» être suppose une certaine unité dans son être, or le tout peut être divisé, or l'un ne peut être divisé. Cela revient à affecter l'être d'un caractère d'unité et placer le tout au-delà de l'un : on retombe dans la doctrine dualiste. Faut-il dire dire que l'être n'est ni un ni le tout, il faut pourtant trouver une place à l'un et au tout dans l'être.
Conclusion : celui qui essaye de dire l'être dans le logos soit comme dans un couple de notions, soit dans une seule se trouve acheminé vers des milliers d'autres impasses. Le logos s'avère impossible pour rendre compte de l'être.
Les Fils de la terre et les Amis des Formes
La question de l’être a souvent été la cause du conflit entre matérialistes, pour qui l’être est le corps (n’existe que ce qui offre une résistance), et partisans des Idées, qui non seulement admettent l’existence de l’âme, mais aussi d’entités transcendantes comme la justice ou la sagesse. Ces deux parties sont désignées respectivement dans le dialogue par Fils de la terre et Amis des Formes. Contre les Fils de la terre, l'étranger déclare qu'il existe des âmes justes et d'autres injustes ; ou si on ne reconnaît pas l'existence de la justice, des âmes sages et d'autres folles. « L'âme est certes corporelles à leur avis. Mais pour ce qui est de la sagesse et de toutes ces autres réalités que vise la question, la honte les retient d'oser ou bien de leur dénier absolument l'être, ou bien d'affirmer catégoriquement que toutes sont des corps »
Penser les corps et ces réalités incorporelles
- L’être n’est autre chose qu'une puissance.
L'étranger s'est trouvé en Théétète quelqu'un de bonne composition, et ont imaginé un Fils de la terre « civilisé » : il n'est pas dit qu'un vrai Fils de la terre aurait été d'accord avec cet argument. L'étranger profite de ce passage chez les Fils de la terre pour donner une définition de l'être comme puissance - soit d'agir soit de pâtir - qu'il emprunte au tenant d'un réalisme. L'être est ici puissance de relation. Cette définition de l'être est utilisée contre les amis de la Forme.
Contre les Amis des Formes, l'étranger critique la division qu'il opère entre le devenir et l'existence. Ce qui est sujet au changement, au devenir n'est pas ; ce qui est vraiment est stable. L'étranger leur répond que l'homme, de par son corps a contact avec le devenir par le biais de la sensation mais a aussi contact avec l'existence de par son âme, par le biais de la raison (λογισμο). Il faut comprendre que cette double communication avec le devenir et l'existence suppose une puissance, une relation entre :
- Le corps et les objets
- Les âmes et les Formes
- Les Amis des Formes diront que l'existence ne connaît ni agir ni pâtir ; comment connaître ?
La connaissance est aussi relation entre ce qui est connu et ce qui connaît. Finalement, ce que l'étranger reproche aux Amis des Formes, c'est leur trop grande rigidité : « et quoi par Zeus, nous laisserons nous si facilement convaincre que le mouvement, la vie, l'âme, la pensée n'ont point de place au sein de l'être universel, qu'il ne vit ni ne pense et que solennel et sacré, vide d'intellect, il reste là planté, sans pouvoir bouger »(ici, l'être suprême serait sans logos vivant). Au contraire pose l'étranger, il existe un intellect (nous) animé dans l'être. Aussi, on ne peut plus soutenir que les Formes sont immobiles et séparées. Les formes et les choses corporelles communiquent entre elles.
Retour au problème du discours et du sophiste
La participation de l'autre au « λόγος » (Logos)
Ainsi, tout est mélangé, et l'on ne peut parler que si les choses sont mélangées. Si l'être n'était pas mélangé au non-être, aucun discours ne serait possible. Il reste quand même à vérifier que, si le discours est lui aussi un être, alors le non-être puisse se mélanger au discours, afin d'obtenir le discours faux. Car le sophiste se défendra en disant que le discours ne se mélange pas, et que le faux est impossible. Il faut au contraire lui prouver que l'autre peut se mêler au logos pour engendre l'opinion fausse, donc l'erreur, donc la tromperie, donc l'illusion, donc l'image et lui dire qu'il ne fait avec son logos que des images, des simulacres de la réalité : Simulacre désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente et prétend valoir pour cette réalité elle-même : l’eidôlon - par opposition à l'icône : eikôn traduit par copie, terme qui renvoie toujours à l’imitation du réel, sans dissimuler la copie. L’eidôlon s’oppose à l’eidos ou l’idea, traduit par Forme
L’Étranger commence par une analyse linguistique du discours. Comme on avait étudié pour savoir si tous les sons peuvent se mêler entre eux pour donner de la musique, il faut voir si tous les noms peuvent se mêler entre eux pour composer un sens. Les mots qui, dits à la file composent un sens, s'accordent entre - comme « Socrate mange Théétète », s'ils ne manifestent aucun sens, cela veut dire qu'il ne s'accorde pas entre eux comme lorsque l’on dit « Socrate Théétète mange ». La phrase est l'association d'un nom et d'un verbe. Le verbe montre l'action effectuée, alors que le nom montre qui fait l'action. Cette première liaison entre un nom et un verbe coïncide avec la naissance du logos. Avant on nommait, maintenant on discourt. Et tout discours, pour en être un, doit porter sur quelque chose, sur un sujet. Alors, on peut dire que la phrase fausse est celle qui dit quelque chose d'autre que ce qui est - « Théétète vole » - alors que la vraie dit ce qui est : « Théétète est assis ». Cette phrase fausse dit cependant réellement quelque chose de ce qui n'est pas. La phrase fausse a donc aussi un être : le non-être défini comme autre. Ce non-être mêlé au discours est possible dans la pensée, dans l'opinion (affirmation, négation) et dans l'imagination (opinion portant sur une sensation).
Retour au sophiste
Il est enfin possible de définir le sophiste. Le sophiste était défini comme producteur de discours (logos). Mais cette production est humaine et non pas divine. Le divin a produit la nature et l'image de la nature (ombre, reflet) avec le logos mais le sophiste produit avec le logos des simulacres de la réalité. La tromperie est bel et bien possible puisque l'étranger a donné un statut à l'image fausse (puisque l'on peut mêler l'autre et le logos, donc tenir des discours faux donc introduire l'erreur, donc la tromperie, donc l'image, donc le simulacre). Le sophiste va imiter les choses qu'il ne connait pas et va souligner un faux semblant en le faisant apparaître comme présent. Mais le sophiste n'est pas naïf, c'est un imitateur ironique, qui sait qu'il trompe son interlocuteur. Son but ne vise au fond qu'à contredire son opposant.
Cet art de contradiction qui, par la partie ironique, d'un art fondé sur la seule opinion rentre dans la mimétique et par le genre qui produit des simulacres se rattache à l'art de créer des images, production humaine et non divine, ayant pour objet la production des logoi : voilà ce qu'est le sophiste