Bac pro, session 2012, Nouvelle Calédonie, les corrigés du corpus Deghelt, la grand mère de Jade et Bouyain
Bac pro, session 2012
Extrait de La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt, 2009
Sarah Bouyain, Entretien site Internet africultures.com, 2005
Objet d’étude : identité et diversité
Texte 1
Jade, jeune femme moderne, héberge chez elle sa grand-mère, Mamoune, pour lui éviter la maison de retraite. C’est l’occasion pour les deux femmes de se découvrir.
Jade mit de l’eau à chauffer en tremblant un peu, comme si elle sentait que les révélations de Mamoune n’allaient pas être banales. Tout en accomplissant les gestes rituels d’ébouillanter la théière, et de doser faiblement le thé à infuser, elle se souvint que c’était elle qui avait initié Mamoune à cette boisson à l’époque où celle-ci ne supportait plus la chicorée. Mamoune en profita pour commencer son histoire. Elle se mit à lui parler, à chuchoter presque, comme si on les écoutait. Elle semblait guetter les réactions de Jade avec une grande attention. – J’ai beaucoup lu, depuis très longtemps. Je suis une lectrice assidue, une amoureuse des livres. On pourrait le dire ainsi. Les livres furent mes amants et avec eux j’ai trompé ton grand-père qui n’en a jamais rien su pendant toute notre vie commune. Jade eut l’impression que Mamoune lui assénait cette révélation comme si elle avait fait le trottoir, transformant la lecture en une activité inavouable. Son visage s’était métamorphosé. À la fois honteuse et ravie, sa grand-mère semblait une autre femme, plus jeune. – Pourquoi ne l’avoir jamais dit ? Personne n’aurait trouvé déplacé que tu aimes lire ? Mamoune soupira en secouant la tête ce qui était toujours chez elle le signe d’un désaccord profond avec le tour que prenait la discussion. Jade fut rassurée de retrouver un instant sur son visage une réaction plus familière. – Replace les éléments à mon époque. J’étais une petite ouvrière d’une vallée industrielle, fille de paysans montagnards, puis femme d’un ouvrier. J’avais mon certificat d’études, ce qui était déjà rare pour une femme de la région. Je gardais des enfants et il faut croire que je donnais satisfaction puisqu’on m’en amenait sans cesse de nouveaux. Je n’avais pas de mérite, je les adorais. Et ils furent même ma cachette de lectrice. Aux bébés, je pouvais lire des extraits de Victor Hugo, de Flaubert ou de Joyce. – Tu as lu Joyce aux bébés que tu gardais ? Grâce à cet exemple-là, Jade réalisa l’énormité de la révélation. Sa grand- mère connaissait Joyce, ce qui était déjà incongru et de surcroît elle le lisait à des enfants ! Cela tenait de la fiction ! Mamoune, elle, n’avait pas l‘air de plaisanter.
Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade, (2009)
Texte 2
En 2000, Sarah Bouyain réalise un film documentaire étonnant sur l'histoire méconnue des métis coloniaux ouest-africains : Les Enfants du Blanc. Deux ans plus tard, elle publie Métisse façon, recueil de nouvelles intimistes sur le même sujet. Elle- même franco-burkinabè, elle revient sur son travail, ses découvertes et leurs résonances dans son histoire personnelle.
Ma grand-mère, métisse coloniale
Évidemment les conditions du métissage de ma grand-mère diffèrent des miennes. Sa mère, Diouldé, fut enlevée par l'armée coloniale alors qu'elle gardait des bœufs. Elle servit de mousso1 à un certain lieutenant Boullais (je l'écrivis longtemps Boulet avant de découvrir la véritable orthographe de son nom !). Ma grand-mère naquit de cette union temporaire. Prénommée Fatimata par sa mère, peuhle et musulmane, elle grandit auprès de ses grands-parents maternels. Le lieutenant Boullais était rentré en France où il mourut à quelques jours de l'armistice de 1918. Diouldé s'était remariée. Fatimata fut choyée par sa famille maternelle jusqu'à ce que les autorités coloniales l'enlèvent pour la conduire à la mission catholique de Ouagadougou. Là, Fatimata fut baptisée Jeanne. Durant dix ans, ma grand-mère servit de bonne aux sœurs. Un jour, lassée d'être si mal traitée, elle se fit admettre à l'orphelinat des métis de Ouagadougou. Ainsi, parce qu'elle était métisse, ma grand-mère avait été séparée de ses parents ! Cet aspect me tourmentait lorsque j'étais enfant. Il me ramenait au malaise que j'éprouvai lorsque l'on me disait, me voyant avec mon père ou ma mère, que je ne leur ressemblais pas. Au fil des années, cette histoire m'obséda de plus en plus. J'interrogeais constamment ma grand-mère et notais que sa version des faits variait parfois… Non pas parce qu'elle mentait, mais parce qu'elle s'efforçait de boucher des trous, de créer des jonctions entre les différents pans de son histoire. Au Burkina, je côtoyais d'autres métis nés de la colonisation. Je n'osais pas les interroger, mais restais à l'affût des allusions ou bribes d'histoires qu'ils lâchaient sur le sujet. Ces éléments disparates, notés scrupuleusement dans des cahiers, constituent la matière des nouvelles consacrées au métissage colonial qui figurent dans Métisse façon2 et dont j'ai commencé la rédaction vers 1994. Dans ces histoires où j'évoquai le destin particulier des métis nés de la colonisation, j'explorai surtout le rapport qu'ils entretiennent avec leur propre histoire, incertaine, parsemée d'éléments laissés à leur seule imagination. Les héroïnes de ces nouvelles sont de vieilles femmes. Elles ont enfoui sous les années leur passé douloureux. Celui-ci ressurgit à la faveur d'une rencontre, d'un incident… De plus, la fiction me permit de donner vie au personnage à la fois central et terriblement absent de l'existence des métis : leur père.
Sarah Bouyain, (Entretien site interne africultures.com - 2005)
Évaluation des compétences de lecture (10 points)
Présentation du corpus
Question n°1 : Présentez le corpus, en trois à six lignes, en montrant son unité. (3 points)
La longueur attendue est incitative. Pour cette première session, une bonne réponse, un peu longue entre 6 et 10 lignes, ne doit pas être pénalisée. Certains candidats nʼont pas encore compris que présenter le corpus nʼéquivaut pas à présenter chaque texte du corpus.
Éléments de corrigé, par exemple :
Les deux textes évoquent une relation familiale petite fille/aïeule et posent la question de la connaissance de ses origines. Jade découvre une face inconnue de sa grand-mère : son goût pour la lecture tandis que Sarah Bouyain tente de reconstituer les éléments de son passé.
Analyse et interprétation
Question n°2 : Texte 1. Quelle situation la révélation du secret crée-t-elle au fur et à mesure entre Jade et sa grand-mère ? (4 points)
Éléments de corrigé, par exemple :
- Jade est intriguée au début, la grand-mère est hésitante, mal assurée : elle « chuchote » - Jade est abasourdie par la révélation « assénait cette révélation » dʼautant que le visage de la grand-mère exprime des émotions jusquʼalors jamais perçus par la petite-fille « sa grand-mère semblait une autre femme, plus jeune », - Jade redécouvre lʼhistoire personnelle de sa grand-mère quʼelle croyait connaître. - Elle est à la fois ravie et en même temps, elle est « bousculée » dans ses représentations (présence de points dʼexclamation, dʼinterrogation).
Question n°3 :
Texte 2. Quels procédés dʼécriture traduisent lʼimportance pour lʼauteur de la réflexion sur lʼidentité ? (3 points)
Éléments de corrigé par exemple :
- Sarah Bouyain retrace lʼhistoire de ses ancêtres sur un mode narratif à travers lʼutilisation des temps du récit (passé simple/imparfait) et dʼindications spatio- temporelles précises. - Ensuite, elle exprime des sentiments personnels dʼinjustice, voire de colère « Ainsi, parce quʼelle était…. séparée de ses parents ! ». Phrase exclamative centrale qui marque sa prise de conscience, son implication personnelle « me, je »
- corrigé NOUVELLE CALEDONIE
... https://webmel.ac-aix-marseille.fr/attach/06-Corrige_du_suje...
- Elle révèle son tourment personnel, la quête de ses origines, insiste sur son besoin de savoir « mʼobséda », « jʼinterrogeais constamment », « restais à lʼaffût ». - Elle insiste enfin dans le dernier paragraphe sur sa démarche dʼécriture et finalement lʼeffet bénéfique de cette reconstitution « la fiction me permit….de donner vie …. : leur père ».
Évaluation des compétences dʼécriture (10 points)
Selon vous, est-il important dʼavoir des liens avec des grands-parents pour construire son identité ?
Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté dʼune quarantaine de lignes, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur vos lectures de lʼannée, et sur vos connaissances personnelles.
Lʼouverture de la question « selon vous » est importante. Le candidat est invité à répondre personnellement en utilisant ses lectures personnelles, ses connaissances personnelles ; son point de vue, sʼil est argumenté, est recevable. On attend du candidat quʼil utilise, dans son argumentation, les textes du corpus et une lecture personnelle au moins. Cʼest le niveau attendu en classe de terminale. Dans la mesure où le sujet appelle à mobiliser des connaissances personnelles, il nʼy a pas à sanctionner des candidats qui se réfèrent à dʼautres objets dʼétude de terminale, première, ou de seconde dans leur argumentation.
Lʼobjet dʼétude fait jouer les deux termes « identité et diversité ». Il serait logique, quʼau terme de lʼannée, les candidats construisent leur argumentation en les faisant jouer à leur tour. Pour cette première session, les candidats qui ne pensent pas à opposer à identité, la diversité (par exemple : opposer liens avec ses grands-parents et liens avec des grands parents de lʼordre de lʼidentité, avec dʼautres familles que la sienne de lʼordre de la diversité) ne seront pas pénalisés.
Lecture-culture/utilisation des connaissances (3 points)
‐ Utilisation des textes et documents du corpus ‐ Utilisation dʼune lecture au moins de lʼannée ‐ Utilisation de connaissances personnelles (cours dʼhistoire, film, actualité, exposition …)
Argumentation (4 points)
‐ Affirmation dʼun point de vue personnel ‐ Construction cohérente de la réponse ‐ Prise en compte de lʼalternative
Donc lʼargumentation est recevable et la compétence validée
Pour aller plus loin : consultez les documents du site
Date de dernière mise à jour : 27/07/2021