L'illusion comique, Corneille, analyse de la pièce
Présentation de la pièce :
L’Illusion comique est une pièce de théâtre en cinq actes écrite par Pierre Corneille en 1635, représentée pour la première fois au théâtre du Marais en 1636 et publiée en 1639 chez François Targa.
Lorsque Corneille écrit cette pièce, il a 29 ans et a déjà écrit sept autres pièces de théâtre dont des tragédies et des comédies. L’Illusion comique marque un tournant dans la carrière littéraire de son auteur puisqu’après l’avoir écrite, Corneille n’écrira plus que des tragédies (sauf Le Menteur, 1643). Cette pièce peut alors apparaître comme l’aboutissement d’un apprentissage dans lequel l’auteur laisse éclater sa virtuosité littéraire. S’il n’est pas déplacé de parler de « virtuosité », c’est que Corneille condense dans cette pièce tous les genres théâtraux : « Le premier acte n’est qu’un prologue » qui s’inspire de la pastorale. « Les trois suivants font une comédie imparfaite » avec son personnage de commedia dell'arte, Matamore. Cette « comédie imparfaite » évolue vers une tragi-comédie avec ces épisodes de rivalité, d’emprisonnement et de mort. « Le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie ». L’Illusion comique résume donc tout l’univers théâtral ; à travers cette pièce Corneille démontre qu’il maîtrise tous les genres théâtraux.
Personnages
Alcandre : magicien.
Pridamant : père de Clindor.
Dorante : ami de Pridamant.
Matamore : capitan gascon, amoureux d’Isabelle.
Clindor : suivant du capitan et amant d’Isabelle.
Adraste : gentilhomme, amoureux d’Isabelle.
Géronte : père d’Isabelle.
Isabelle : fille de Géronte et amante de Clindor.
Lyse : servante d’Isabelle et amoureuse de Clindor.
Geôlier de Bordeaux.
Page du Capitaine.
Eraste : écuyer de Florilame.
Troupe de domestiques d’Adraste.
Troupe de domestiques de Florilame.
Rosine : amante de Clindor
Étude de l’œuvre
Structure
L’Illusion comique s’appuie sur le motif du théâtre dans le théâtre et multiplie les niveaux de représentation :
le premier niveau est celui de la pièce complète avec son lot d’inquiétudes, de nœuds et de dénouements.
le deuxième est celui de la scène entre Alcandre et Pridamant, à la fois personnages et spectateurs de ce qui se déroule devant eux.
le troisième est celui des jeunes gens, Clindor et Isabelle, et de leurs aventures.
le quatrième est celui de la tragédie de l'acte V.
Le théâtre du monde
La structure complexe de la pièce, basée sur des enchâssements successifs (théâtre dans le théâtre) et un jeu d’apparences trompeuses (la fausse mort de Clindor), a pour but d’égarer le spectateur. Le jeu des illusions s’inscrit dans l’idée baroque selon laquelle la vie est un théâtre et on voit dans cette pièce comment Corneille exploite cette idée lorsque se confondent la vraie vie de Clindor et le rôle qu’il joue. Le déguisement, le changement d’identité sont autant de marques de l’imprégnation baroque sur cette pièce. L’homme devient un véritable Protée. La grotte peut également être interprétée comme une métaphore du théâtre avec sa scène et ses spectateurs. Des éléments en ce sens apparaissent dès la première tirade de Dorante.
L’instabilité du monde
La linéarité de l’histoire est plusieurs fois brisée, de nombreuses digressions viennent briser des actions qui s’entrecroisent et peuvent rester inachevées (Matamore retrouvé après plusieurs jours). L’histoire principale est enlacée par des histoires secondaires. Cette inconstance de la diégèse est renforcée par l’inconstance amoureuse des personnages (éloge de l’infidélité par Clindor : V, 3). Cette instabilité confine même au tourbillon sur la fin de la pièce lorsque Pridamant et le lecteur avec lui ne savent plus ce qui ressort de la réalité ou de la fiction.
Transgression de la règle des trois unités ?
On pourrait croire que les unités classiques sont transgressées :
l’enchevêtrement des intrigues brise l’unité d’action ;
deux années s’écoulent entre la fin de l’acte IV et le début de l’acte V ce qui est inconciliable avec l’unité de temps (qui est de 24h) ;
l’unité de lieu est également mise à mal puisque l’acte I s’ouvre dans la grotte d’Alcandre (en Touraine), les trois actes suivants se passent à Bordeaux, tandis que le dernier a lieu à Paris.
On pourrait donc penser que nous sommes bien éloignés des préceptes du théâtre classique qui privilégie une intrigue unique se déroulant en une seule journée dans un espace intérieur mais Corneille déjoue cette transgression qui, si elle était véritable, pourrait rendre sa pièce non valable en faisant tout se passer dans la grotte d’Alcandre, en seulement quelques heures. De sorte que, considérée de l’avant-scène - le seuil de la grotte d’Alcandre où se tient Pridamant -, la pièce se situe bien dans un lieu unique ; elle ne dure pas plus que la représentation elle-même ; enfin son action se concentre sur la vision de Pridamant et la « réforme » qu’Alcandre produit sur lui au sujet de sa propre illusion et des préjugés qu’il avait sur la « comédie » : les lois du théâtre classique sont donc présentes comme une enveloppe ; elles enchâssent le théâtre baroque dans une bulle chatoyante mais qui ne donne néanmoins à voir que des « spectres ». Ce respect mitigé et paradoxal des règles classiques est expliqué par le fait que l’œuvre est créée pendant une période de transition, entre baroque et classicisme. Il n’est pas impossible d’y voir à la fois un hommage au théâtre baroque et une féroce satire de celui-ci. On incitera par la suite Corneille à se conformer aux normes du mouvement émergent, bien que lui-même dise considérer L’Illusion comique comme un « caprice », un « estrange monstre »
Échos tragiques, éléments de classicisme
Bien que cette pièce relève principalement du théâtre baroque, certains passages sont teintés d’une couleur fortement tragique qui n’est pas sans laisser entrevoir les grandes tragédies classiques qui naîtront par la suite. Malgré la légèreté des intrigues amoureuses, le thème de la mort se retrouve en effet à plusieurs reprises. Il y a, bien sûr, la fausse mort de Clindor qui vient, un instant, plonger la pièce dans une atmosphère tragique. Cet événement vient plonger le spectateur dans des sentiments mêlés de Terreur et de Pitié (incarnés dans le personnage de Pridamant). Lorsque l’on se rappelle que ce sont là les deux grandes émotions théâtrales selon Aristote, on devine aisément ce que cet épisode contient de classicisme en germes. Cependant les passages les plus marquants de cette thématique sont incontestablement les monologues d’Isabelle (IV, 1) et de Clindor (IV, 7). Désespérée par le « jugement inique » qui condamne « un pauvre inconnu » pour son « feu légitime », Isabelle envisage sa propre mort en héroïne tragique et déclare : « Je veux perdre la vie en perdant mon amour ». Mais elle ne se contente pas de vouloir suivre Clindor dans la mort, elle se met à espérer que son trépas entraînera le désespoir de son « père inhumain ». Clindor, quant à lui, expie ses frivolités passées en accédant au statut de héros tragique au cours de son monologue. Il convoque à lui les souvenirs d’Isabelle afin de surmonter l’épreuve de la mort et s’en trouve transfiguré : « Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous ! ». Pendant un instant, il semble retomber dans la peur de la mort et dans le désespoir ("la peur de la mort me fait déjà mourir"). Au cours d’une longue hypotypose ("Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare"), il vit en imagination son supplice. Mais c’est encore l’image d’Isabelle qui vient effacer cette macabre vision. L’amour lui permet donc de dépasser la pensée et la peur de la mort.
Mélange des genres théâtraux
La commedia dell’arte
La commedia dell'arte constitue la source principale du renouveau dramatique au XVIIe siècle, en synthétisant à la fois la tradition populaire et les recherches esthétiques menées dans les académies de la Renaissance en Italie. La commedia se fonde sur la virtuosité verbale et physique de l’acteur, sans passer par un texte commun à tous ; chacun compose son rôle à partir de fragments (de la phrase à une scène entière) propre à son personnage, qui garde ses caractéristiques d’une pièce à l’autre – les « types fixes » comme Arlequin, Colombine, Pantalon, le Docteur, dont certains portent un masque et un costume distinctif. Le personnage de Matamore et ses « rodomontades » sont directement empruntés à cette tradition (ils remontent d’ailleurs au théâtre antique), de même que, plus fondamentalement, la juxtaposition de personnages galants et grotesques. La Commedia dell'arte sera très présente ensuite chez d'autres auteurs, comme Molière avec ses personnages de valets (Sganarelle, le fidèle valet de Dom Juan...).
La pastorale
La pastorale exige un décor, celui d’une nature idéalisée selon le modèle antique de l’Arcadie, réactualisé aux XVe et XVIe siècles en Italie dans des œuvres qui connaissent une diffusion internationale, comme le Pastor Fido de Guarini et l’Aminta du Tasse, et qui trouveront un prolongement en France dans le roman précieux, dont la célèbre Astrée d’Honoré d'Urfé. Le genre repose sur de complexes relations sentimentales que ponctuent des mises à l’épreuve, des disparitions, des fausses morts, des retrouvailles inattendues, et l’intervention de forces surnaturelles (comme celle du magicien Alcandre). Dans la deuxième moitié du siècle, la pastorale, loin de décliner comme on le croit trop souvent, passera dans le domaine de l’art lyrique – tous les premiers opéras véritablement français s’y rattachent.
Le premier acte emprunte plusieurs caractéristiques au genre de la pastorale, fort en vogue dans la première moitié du XVIIe siècle. La pastorale retraçait dans un décor champêtre les aventures sentimentales de bergers et bergères, dont la grâce d’une nature bienveillante veillait sur eux. Ils consultaient souvent un devin(ou un druide) pour voir clair dans leur cœur, qui était tout à la fois magicien et psychologue. Ainsi, avec son cadre campagnard, situé en Touraine , sa "grotte" et son "mage", L’Illusion comique s’y rattache ouvertement.
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Pour aller plus loin
Date de dernière mise à jour : 01/03/2021