Le malade imaginaire : Molière
Aristote a associé la notion de purgation à la tragédie. Mais les commentateurs de Molière parlent de comique de catharsis = l'enjeu
Plaire et instruire
Le dramaturge met en scène un pauvre hypocondriaque (maladie et peur de mourir)
Problématiques
Comment Molière s'y prend t'-il pour purger le malade de cette folie ?
Comment s'y prend t'-il pour nettoyer le spectateur de cette peur de l'illusion du corps ?
Molière propose une comédie consciente d'elle-même ou le théâtre s'affiche comme l'espace thérapeutique où soigner la maladie
Molière parle de sa propre mort dans cette pièce
Comédie ballet = fusion de deux arts
Utilisation des ressources de la farce pour intellectualiser la comédie. C'est un sujet grave, la maladie, la mort mais = comique. Comique de situation, monologue + dialogue = deux rôles, mise en abyme du théâtre.
L'hypocondriaque est un médecin imaginaire. Les médecins apparaissent comme une corporation malhonnête.
Satire des médecins
Un autre aspect, qui nous conduit à la satire de notre peur de la mort, est la manière dont les médecins sont dépeints. La thématique des médecins apparaît déjà dans le théâtre français du Moyen âge et se retrouve tout aussi bien dans les pièces de la commedia dell'arte que dans le théâtre français du XVIIe siècle. Molière reprend ce thème pour la première fois dans Le Médecin volant, une de ses premières farces à laquelle on n'accorde généralement pas une très grande importance. Dans Dom Juan ou le Festin de pierre (1665) les thèmes de la maladie, des médecins et de la médecine font à nouveau leur apparition. Il suffit ici que Sganarelle (qui n'est qu'un domestique) mette les habits d'un médecin pour passer pour un grand érudit et pour oser parler comme tel. Deux thématiques de premier plan voient le jour : celle du langage jargonesque attribué aux médecins et le motif que le vêtement suffit à faire le métier de son porteur.
Résumé : Le Malade imaginaire de Molière (1673)
Argan est un homme parfaitement bien portant, ce qui ne l’empêche pas de se croire très malade. Il entre en fureur quand on lui dit qu’il se porte bien. À la fin du mois, il additionne tous les médicaments qui lui ont été administrés. Il n’en a que vingt, le mois précédent il en avait trente-deux. « Je ne m’étonne pas, dit-il avec douleur, si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à M. Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. »
Deux médecins se sont emparés de lui. L’an, M. Diafoirus, aime mieux médicamenter le peuple, où l’on n’a qu’à suivre les règles de l’art, sans se mettre en peine de ce qui peut arriver. Les grands ont cela de fâcheux, qu’ils veulent absolument qu’on les guérisse. « Un médecin, dit-il, n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes c’est à eux à guérir s’ils peuvent. » M. Diafoirus veut qu’on mette les grains de sel par nombre pair dans un œuf, et par nombre impair dans les médicaments. Son confrère, M. Purgon, fait croire à Argan qu’il mourra s’il reste trois jours sans être visité par lui. Il entre en fureur et le menace de toutes les maladies, parce qu’il n’a pas pris un des remèdes les plus innocents de la médecine. Cependant, Argan est le plus docile des malades. On lui a ordonné de se promener douze allées et douze venues dans sa chambre ; il se désole parce qu’il a oublié de demander si c’était en long ou en large.
Pour s’assurer des secours contre la maladie, il veut marier sa fille Angélique, malgré elle, à M. Thomas Diafoirus, le fils de son médecin. Heureusement celle-ci trouve un puissant auxiliaire dans sa servante Toinette qui ne craint pas d’affronter le courroux d’Argan et même de Béline, sa seconde femme, pour s’opposer à ce ridicule mariage. Il est vrai que Béline ne demande pas mieux que d’éconduire de la maison les enfants d’un premier lit ; même, par des caresses perfides, elle flatte les faiblesses de son mari, lui donne des témoignages hypocrites de tendresse, jusqu’à ce qu’enfin elle soit parvenue à lui faire faire un testament en sa faveur, au préjudice de ses enfants. Mais Toinette démasque ses perfidies et Argan n’en est bientôt que trop convaincu. Cependant, à défaut de Thomas Diafoirus, il tient encore à avoir un gendre médecin.
Qu’à cela ne tienne, le jeune homme qu’Angélique agrée, Cléante, consent à se faire médecin. « Et pourquoi pas vous faire médecin vous-même ? » lui dit son frère. Cette idée lui sourit mais il se sent malheureusement trop vieux « pour apprendre le latin et pour connaître les maladies et les remèdes ». « Il n’y a pas besoin d’études, lui réplique-t-on en recevant la robe et le bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison. » Argan, enchanté, se fait recevoir médecin et cette cérémonie burlesque termine la pièce en couvrant de ridicule tous les Purgons et les Diafoirus.
Dans cette pièce, on voit combien l’amour désordonné de la vie est destructeur de toute vertu morale. Argan, voué à la médecine, esclave de M. Purgon, est aussi un époux sot et dupe, un père injuste, un homme dur, égoïste, colérique. Avec quelle énergie et quelle vérité l’auteur trace le tableau des caresses perfides d’une belle-mère qui abuse de la faiblesse d’un imbécile mari pour dépouiller les enfants du premier lit ! Quelle décence, quelle raison, quelle fermeté dans le caractère d’Angélique !
Cette comédie est l’image fidèle de ce qui se passe dans un grand nombre de familles. Enfin, l’auteur a osé y attaquer un des préjugés les plus universels et les plus anciens de la société, il a osé y combattre les deux passions qui font le plus de dupes, la crainte de la mort et l’amour de la vie ; il a bien pu les persifler, mais, hélas ! il était au-dessus de son art de les détruire. Les usages qui ont leur force dans la faiblesse humaine, bravent tous les traits du ridicule. Molière, il faut bien l’avouer, n’a point corrigé les hommes de la médecine, mais il a corrigé les médecins de leur ignorance et de leur barbarie.
LE MALADE IMAGINAIRE
ACTEURS
ARGAN, malade imaginaire.
BÉLINE, seconde femme d'Argan.
ANGÉLIQUE, fille d'Argan et amante de Cléante.
LOUISON, petite fille d'Argan, et sœur d'Angélique.
BÉRALDE, frère d'Argan.
CLÉANTE, amant d'Angélique.
MONSIEUR DIAFOIRUS, médecin.
THOMAS DIAFOIRUS, son fils, et amant d'Angélique.
MONSIEUR PURGON, médecin d'Argan.
MONSIEUR FLEURANT, apothicaire.
MONSIEUR BONNEFOY, notaire.
TOINETTE, servante.
La scène est à Paris.
ACTE PREMIER, SCÈNE PREMIÈRE
ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties5 d'apothicaire
avec des jetons6; il fait parlant à lui-même les dialogues suivants.— Trois et deux font cinq, et
cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. «Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère
insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de
Monsieur7.» Ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c'est que ses parties sont
toujours fort civiles. «Les entrailles de Monsieur, trente sols». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce
n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades.
Trente sols un lavement, je suis votre serviteur8, je vous l'ai déjà dit. Vous ne me les avez mis
dans les autres parties qu'à vingt sols, et vingt sols en langage d'apothicaire, c'est-à-dire dix
sols; les voilà, dix sols. «Plus dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon
double9, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le
bas-ventre de Monsieur, trente sols;» avec votre permission, dix sols. «Plus dudit jour le soir un
julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq sols;»
je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six
deniers. «Plus du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée
de casse10 récente avec séné levantin, et autres, suivant l'ordonnance de Monsieur Purgon,
pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres.» Ah! Monsieur Fleurant, c'est se
moquer, il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre
quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s'il vous plaît. Vingt et trente sols. «Plus dudit jour, une
potion anodine11, et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols.» Bon, dix et quinze
sols. «Plus du vingt-sixième, un clystère carminatif12, pour chasser les vents de Monsieur, trente
sols.» Dix Sols, Monsieur Fleurant. «Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus,
trente sols.» Monsieur Fleurant, dix sols. «Plus du vingt-septième, une bonne médecine
composée pour hâter d'aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois
livres.» Bon vingt, et trente sols; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. «Plus du vingt-
huitième, une prise de petit-lait clarifié, et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le
sang de Monsieur, vingt sols.» Bon, dix sols. «Plus une potion cordiale et préservative,
composée avec douze grains de bézoard13, sirops de limon et grenade, et autres, suivant
l'ordonnance, cinq livres.» Ah! Monsieur Fleurant, tout doux, s'il vous plaît, si vous en usez
comme cela, on ne voudra plus être malade, contentez-vous de quatre francs; vingt et quarante
sols. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols
six deniers. Si bien donc, que de ce mois j'ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit
médecines; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements; et
l'autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. Je ne m'étonne pas, si je ne me
porte pas si bien ce mois-ci, que l'autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu'il mette ordre à
cela. Allons, qu'on m'ôte tout ceci, il n'y a personne; j'ai beau dire, on me laisse toujours seul; il
n'y a pas moyen de les arrêter ici. (Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens.) Ils
n'entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d'affaire.
Drelin, drelin, Drelin, ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais
point. Chienne, coquine, drelin, drelin, drelin; j'enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin,
drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu'on laisse comme cela un pauvre
malade tout seul! Drelin, drelin, drelin; voilà qui est pitoyable! Drelin, drelin, drelin. Ah! mon Dieu,
ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.
Plan possible, I, 1
I – un malade imaginaire : théâtre critique
1 un malade : maladie réelle et angoisse de la maladie
2 Un fou : lucidité et délire
3 Un acteur : mise en abyme et distanciation
II – Un médecin imaginaire
1 la farce : comique de situation
2 la parodie : limite
3 satire : comique de répétition
III – Un corps imaginaire : critique du galiénisme
1 les humeurs, corps liquide
2 la pureté : une théorie hydrolique
3 l'aristocratie : le roi Argan
Rationaliser la maladie :
Les arguments d'Argan
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les médecins doivent être honnêtes puisqu'ils sont eux mêmes leur patient
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on peut combiner nature et sons
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Attaque personnelle : accuse d'être orgueilleux. Il prétend en savoir plus que les médecins.
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Il appelle à l'aide, il est à cours d'arguments
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Attaque Molière
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Manifeste sur la valeur du théâtre, sur la société et la valeur de Molière sur la scène sociale
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Argan s'énerve, il hausse le ton, il n'a plus d'arguments. Molière meurt 4 jours plus tard, parole performative = dimension critique et performative.
Les arguments de Béralde
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Classe les médecins en deux types : ceux qui font semblant et ceux qui tombent dans l'erreur
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Les médecins sont des dangers publics
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Quand on est malade, il vaut mieux ne rien faire et laisser faire la nature
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Il condamne la médecine de son époque mais ne peut pas le concevoir autrement
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Roman de la médecine, critique de la médecine, remise en cause de la théorie de Galien
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Opposition binaire, médecins, médecine
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Met sur le même plan, comédie et tragédie
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Les médecins affaiblissent le corps et le rendent malade
Plan possible :
I – un débat argumenté
Débat rationnel
Débat passionné
Débat sans vainqueur
II – Un débat sur la médecine
Critique de l'ignorance
Critique de la corporation
Critique de la naiveté
III – Un débat sur le théâtre
Du réel au théâtre
Du théâtre au réel
Le théâtre autotélique
Théâtralisation comique de la malade
Acte III, 5 et 10
Scène 5 :
Le jargon médical
Comique de situation, stichomythies
Argan va jouer à l'être faible
Comique de répétition : cela souligne le jeu de l'acteur : nouvelle intensité de chaque réplique
Comique de geste :
Farce, comique, absurde
Victimisation injuste d'Argan
Comique de mots, absurde
Scène 10 :
Comique de situation, Toinette se déguise en médecin. Théâtre dans le théâtre. Mise en abyme.
Fonction du théâtre dans la société
La mise en abyme permet la remise en forme
Comique de répétition
Satire des médecins et de la médecine. Argan accepte n'importe quelle explication
Documentation de l'époque
Toinette va encourager Argan à vivre
La mise en abyme permet de découvrir la vérité profonde d'Argan
Il y a une référence à la bible, l'Evangile de Mathieu. Toinette lit la bible pour diagnostiquer Argan. Satire des dogmes religieux et médicaux.
Folie et carnaval : II, 14
L'habit fait le médecin
L'habit fonde l'autorité car il suscite l'imagination. La société du 17è est théâtrale. Molière a capté la dimension théâtrale des statuts sociaux. Argan devient médecin en se déguisant pour faire une comédie. Les personnages créent à leur tour du théâtre. Molière montre les ficelles de la théâtralité.
Molière trouve les circonstances pour cacher l'hypocondrie d'Argan.
Le carnaval = rituel social qui inverse les statuts sociaux pour un court moment de l'année. Le malade devient médecin
Le théâtre ne change pas le monde mais il est au cœur du monde.