Bac 2005, sujets à l'étranger, français, le théâtre et sa représentation, Marivaux, Hugo et Edmond Rostand : corpus de textes
CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE L
Objet d'étude : Théâtre, texte et représentation.
Textes :
Texte A - Marivaux : Les Fausses confidences (1737), acte II, scène 13
Texte B - Victor Hugo : Ruy Blas (1838), acte II, scène 2
Texte C - Edmond Rostand : Cyrano de Bergerac (1897), acte V, scène 5.
Texte A - Marivaux : Les Fausses confidences (1737), acte II, scène 13.
[Araminte met à l'épreuve son jeune intendant, Dorante, dont elle sait qu'il est amoureux d'elle et qui, suivant les conseils de son valet Dubois, ne lui a pas avoué son amour.]
ARAMINTE. — [...] toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte.
DORANTE, d'un ton ému. — Déterminée, Madame !
ARAMINTE. — Oui, tout à fait résolue. Le Comte croira que vous y avez contribué je le lui dirai même, et je vous garantis que vous resterez ici; je vous le promets. (A part.) Il change de couleur.
DORANTE. — Quelle différence pour moi, Madame !
ARAMINTE, d'un air délibéré. — Il n'y en aura aucune, ne vous embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous dicter; il y a tout ce qu'il faut sur cette table.
DORANTE. — Eh ! pour qui, Madame ?
ARAMINTE. — Pour le Comte, qui est sorti d'ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement, par le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom. (Dorante reste rêveur, et par distraction ne va point à la table.) Eh bien, vous n'allez pas à la table ? à quoi rêvez-vous ?
DORANTE, toujours distrait. — Oui, Madame.
ARAMINTE, à part, pendant qu'il se place. — Il ne sait ce qu'il fait. Voyons si cela continuera.
DORANTE à part, cherchant du papier. — Ah ! Dubois m'a trompé !
ARAMINTE poursuit. — Êtes-vous prêt à écrire ?
DORANTE. — Madame, je ne trouve point de papier.
ARAMINTE allant elle-même. — Vous n'en trouvez point ! En voilà devant vous.
DORANTE. — Il est vrai.
ARAMINTE. — Écrivez. « Hâtez-vous de venir, Monsieur; votre mariage est sûr...» Avez-vous écrit ? ...
DORANTE. — Comment, Madame ?
ARAMINTE. — Vous ne m'écoutez donc pas ? « Votre mariage est sûr; Madame veut que je vous l'écrive, et vous attend pour vous le dire.» (A part.) Il souffre, mais il ne dit mot. Est-ce qu'il ne parlera pas ? « N'attribuez point cette résolution à la crainte que Madame pourrait avoir des suites d'un procès douteux.»
DORANTE. — Je vous ai assuré que vous le gagneriez, Madame. Douteux ! il ne l'est point.
ARAMINTE. — N'importe, achevez. « Non, Monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu'elle rend à votre mérite la détermine.»
DORANTE, à part.— Ciel ! je suis perdu. (Haut.) Mais, Madame, vous n'aviez aucune inclination pour lui.
ARAMINTE. — Achevez, vous dis-je... « Qu'elle rend à votre mérite la détermine...» Je crois que la main vous tremble ! Vous paraissez changé. Qu'est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?
DORANTE. — Je ne me trouve pas bien, Madame.
ARAMINTE. — Quoi ! Si subitement ! Cela est singulier. Pliez la lettre, et mettez: « À Monsieur le comte de Dorimont.» Vous direz à Dubois qu'il la lui porte. (A part.) Le cœur me bat ! (A Dorante.) Voilà qui est écrit tout de travers ! Cette adresse-là n'est presque pas lisible. (A part.) Il n'y a pas encore là de quoi le convaincre.
DORANTE, à part. — Ne serait-ce point aussi pour m'éprouver ? Dubois ne m'a averti de rien.
Texte B - Victor Hugo : Ruy Blas (1838), acte II, scène 2.
[La reine d'Espagne, dont le mari passe de longues journées à la chasse, est seule, inquiète de la haine que lui porte Don Salluste, un noble qu'elle a écarté de la Cour, et émue par les billets que lui dépose chaque soir un inconnu, Ruy Blas.]
LA REINE :
[...] Qui que tu sois, ô jeune homme inconnu
Toi qui, me voyant seule et loin de ce qui m'aime,
Sans rien me demander, sans rien espérer même,
Viens à moi, sans compter les périls où tu cours;
Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours
Pour donner une fleur à la reine d'Espagne;
Qui que tu sois, ami dont l'ombre m'accompagne,
Puisque mon cœur subit une inflexible loi,
Sois aimé par ta mère et sois béni par moi !
(Vivement et portant la main à son cœur.)
— Oh ! Sa lettre me brûle !
Retombant dans sa rêverie.
Et l'autre ! L'implacable
Don Salluste ! Le sort me protège et m'accable.
En même temps qu'un ange, un spectre affreux me suit;
— Et, sans les voir, je sens s'agiter dans ma nuit,
Pour m'amener peut-être à quelque instant suprême,
Un homme qui me hait près d'un homme qui m'aime.
L'un me sauvera-t-il de l'autre ? Je ne sais.
Hélas ! Mon destin flotte à deux vents opposés.
Que c'est faible, une reine, et que c'est peu de chose !
Prions.
(Elle s'agenouille devant la madone.)
– Secourez-moi, madame ! Car je n'ose
Élever mon regard jusqu'à vous !
(Elle s'interrompt.)
– Ô mon Dieu !
La dentelle, la fleur, la lettre, c'est du feu !
(Elle met la main dans sa poitrine et en arrache une lettre froissée, un bouquet desséché de petites fleurs bleues et un morceau de dentelle taché de sang qu'elle jette sur la table; puis elle retombe à genoux.)
Vierge, astre de la mer ! Vierge, espoir du martyre !
— Aidez-moi ! –
(S'interrompant.)
Cette lettre !
(Se tournant à demi vers la table.)
Elle est là qui m'attire.
(S'agenouillant de nouveau.)
Je ne veux plus la lire ! – ô reine de douceur !
Vous qu'à tout affligé Jésus donne pour sœur !
Venez, je vous appelle ! –
(Elle se lève, fait quelques pas vers la table, puis s'arrête, puis enfin se précipite sur la lettre, comme cédant à une attraction irrésistible.)
Oui, je vais la relire
Une dernière fois ! Après, je la déchire !
(Avec un sourire triste.)
Hélas ! Depuis un mois je dis toujours cela.
(Elle déplie la lettre résolument et lit).
« Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là
« Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile;
« Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile;
« Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut;
— « Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.»
(Elle pose la lettre sur la table.)
Quand l'âme a soif, il faut qu'elle se désaltère,
Fût-ce dans du poison !
(Elle remet la lettre et la dentelle dans sa poitrine.)
Je n'ai rien sur la terre.
Mais enfin il faut bien que j'aime quelqu'un, moi !
Oh ! s'il avait voulu, j'aurais aimé le roi.
Mais il me laisse ainsi – seule – d'amour privée.
(La grande porte s'ouvre à deux battants. Entre un huissier de chambre, en grand costume.)
L'HUISSIER, à haute voix
— Une lettre du roi !
LA REINE, comme réveillée en sursaut, avec un cri de joie.
Du roi ! je suis sauvée !
[L'huissier apporte un bref billet que le roi a dicté pour son épouse à Ruy Blas, dans lequel il dit qu'il a tué six loups : déception cruelle de la reine, qui espérait un mot de tendresse.]
Texte C - Edmond Rostand : Cyrano de Bergerac (1897), acte V, scène 5.
[Cyrano, près de mourir et depuis toujours amoureux, vient rendre visite à Roxane, dont le jeune époux Christian est mort il y a des années à la guerre après lui avoir écrit une lettre bouleversante.]
ROXANE, debout près de lui :
Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
(Elle met la main sur sa poitrine.)
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l'on peut voir encor des larmes et du sang !
(Le crépuscule commence à venir.)
CYRANO :
Sa lettre !... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
ROXANE :
Ah ! vous voulez ?... Sa lettre ?
CYRANO :
Oui... Je veux... Aujourd'hui...
ROXANE, lui donnant le sachet pendu à son cou :
Tenez !
CYRANO, le prenant :
Je peux ouvrir ?
ROXANE :
Ouvrez... lisez !...
(Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.)
CYRANO, lisant :
« Roxane, adieu, je vais mourir !...»
ROXANE, s'arrêtant, étonnée :
Tout haut ?
CYRANO, lisant :
« C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
« J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée,
« Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
« Mes regards dont c'était...»
ROXANE :
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
CYRANO, continuant :
«...dont c'était les frémissantes fêtes,
« Ne baiseront au vol les gestes que vous faites.
« J'en revois un petit qui vous est familier
« Pour toucher votre front, et je voudrais crier...»
ROXANE, troublée :
Comme vous la lisez, -- cette lettre !
(La nuit vient insensiblement.)
CYRANO :
« Et je crie
« Adieu !...»
ROXANE :
Vous la lisez...
CYRANO :
« Ma chère, ma chérie,
« Mon trésor...»
ROXANE, rêveuse :
D'une voix...
CYRANO :
« Mon amour...»
ROXANE :
D'une voix...
(Elle tressaille.)
Mais... que je n'entends pas pour la première fois !
(Elle s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive, passe derrière le fauteuil se penche sans bruit, regarde la lettre. -- L'ombre augmente.)
CYRANO :
« Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde,
« Et je suis et serai jusque dans l'autre monde
« Celui qui vous aima sans mesure, celui...»
ROXANE, lui posant la main sur l'épaule :
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
(Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste d'effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l'ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains.)
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D'être le vieil ami qui vient pour être drôle !
CYRANO :
Roxane !
ROXANE :
C'était vous.
CYRANO :
Non, non, Roxane, non !
ROXANE :
J'aurais dû deviner quand il disait mon nom !
CYRANO :
Non ! ce n'était pas moi !
ROXANE :
C'était vous !
CYRANO :
Je vous jure...
ROXANE :
J'aperçois toute la généreuse imposture
Les lettres, c'était vous...
I. QUESTION (4 points).
Montrez que la lettre joue dans chacune de ces scènes un rôle dramatique essentiel.
II. ÉCRITURE (16 points).
Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Marivaux (texte A).
Dissertation
En réfléchissant aux fonctions de la lettre dans ces différentes scènes, vous vous demanderez sur quels éléments scénographiques ou autres peut reposer au théâtre la progression dramatique.
Invention
Imaginez le monologue dans lequel la Reine d'Espagne a la tentation de répondre à l'inconnu; cette scène de théâtre sera rédigée en prose et devra inclure des extraits de la lettre ébauchée.
Date de dernière mise à jour : 28/07/2021