Quels aspects différents du personnage mythique de DJ apparaissent dans ces textes?
Travail sur corpus de textes
Quels aspects différents du personnage mythique de DJ apparaissent dans ces
textes ?
- Tirso de Molina
- La nuit de Valognes de Schmitt
- Air du catalogue chez Mozart
- Don Juan aux Enfers de Baudelaire
- DJ d’Hoffmann
Les réécritures de DJ
Les fourberies du séducteur : Tirso
- Les scènes VII et VIII de la pièce de Tirso montrent l’un des stratagèmes
préférés du séducteur : profitant de l’obscurité pour s’introduire chez sa
victime qui le prend d’abord pour son époux ; il parvient à ses fins par la
force et par la ruse
- Tout en imposant ses désirs, il enjôle la paysanne par de lyriques
flatteries et des promesses de mariage mirobolante eu égard à la
différence sociale
- Les deux apartés révèlent au spectateur l’ironie cynique de DJ
En accord avec sa double finalité comique et édifiante, la pièce baroque à
l’origine du mythe présente un séducteur perfide pour qui le jeu hédoniste et
l’impérieux désir de possession érotique sont la seule loi qui vaille
Un révolté en quête d’absolu : Hoffmann
- Le texte d’Hoffmann est un discours du personnage-narrateur à
l’intérieur du récit, sous forme d’une méditation sur DJ
· Bien différent du héros de la pièce espagnole
· DJ présenté comme un être d’exception, voué par nature au
triomphe et à la domination mais écartelé entre Dieu et le Diable
· Le diable le conduit à chercher dans la sensualité de quoi compenser
en vain son insatisfaction spirituelle
· Déçu, DJ se lance dans une révolte métaphysique qui est aussi une
descente aux Enfers
Ce texte est caractéristique de l’interprétation romantique de DJ
- Au XIX, le pers du séducteur, mû par une double postulation divine et
satanique
- Figure un être en quête d’un impossible idéal
- Se révolte contre la condition humaine dans un monde trop mesquin
pour lui
Hoffmann, DJ très particulier car la position de maudit tourne au profit du
séducteur : DJ est mué en âme religieuse que la divinité a trompée en refusant
Cours en ligne prépabac: de satisfaire des aspirations qu’elle avait suscitées : le libertin cesse d’être
coupable devant Dieu.
Avec les romantiques, on se met à aimer DJ. Sort grandi par son malheur, son
désenchantement
- on le rêve fatigué, mélancolique
- devient un beau destructeur
- fascinateur fasciné par le mal
Le champion du défi orgueilleux : Baudelaire
- Tout en comportant de nombreuses références à la pièce de Molière, le
poème de Baudelaire transpose le mythe de DJ dans l’univers de la
mythologie antique
- Lecture accordée à sa propre sensibilité
- Il n’est pas question ici de salut ou de repentir : seul contre toutes ses
victimes qu’il ne daigne pas même regarder, le libertin damné se mure
dans sa logique du défi absolu, dans son péché d’orgueil ou d’hybris, qui
le conduit aussi à accepter son châtiment avec une hautaine sérénité
DJ romantique qui est peut-être une image de l’artiste maudit, génial mais
damné par la société
« Don Juan aux Enfers »
Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine
Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'œil fier comme Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir ;
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
Le titre : Don Juan aux enfers
Il annonce une suite de la pièce de Molière .
Notion de transposition : on passe d’une pièce de théâtre à une poésie .
Changement d’espace culturel : les Enfers grecs et non pas l’Enfer chrétien annoncé par Sganarelle . Notion de syncrétisme (synthèse de plusieurs éléments culturels) constitutif du mythe littéraire .
ENJEUX DE CETTE REECRITURE
1- On n’écrit pas dans le vide culturel (fort syncrétisme ici)
2- Pourquoi Dom Juan ? Ici l’impénitent nous rappelle le dandysme de Barbey mais aussi le Baudelaire de « La Mort » : « Plonger au fond du gouffre Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
3- Nouveautés dans la chaîne des réécritures :
- l’Enfer
- les autres semblent plus condamnés que lui
- cohérence avec le caractère du D.J. de Molière : on est bien dans le domaine de la transposition .
Un séducteur démythifié : Schmitt
La pièce de Schmitt multiplie les allusions aux oeuvres antérieures tout en
renversant ironiquement plusieurs données essentielles du mythe, comme
l’illustre le parodique mot de la fin
- S se désespère que son maître dérogeant lamentablement à sa
réputation, lui ait même payé ses gages
- DJ n’est plus DJ, et sa métamorphose déroute ou déçoit ses anciennes
maîtresses et son serviteur
- Ebranlé par la mort du jeune homme grâce auquel il aurait enfin pu
connaître l’amour, le libertin vieilli décide de renaître à une nouvelle vie
- La mort du mythe permet la naissance d’un homme
La Nuit de Valognes est assez représentative du devenir ou plutôt de la
déconstruction du mythe à l’ère du désenchantement, de la mort de Dieu et
de la libération des moeurs.
Privé de son pouvoir séducteur comme de sa dimension sacrilège, DJ devient
le prétexte d’un jeu littéraire de références parodiques, qui en appelle à la
complicité du lecteur tout en invitant à réfléchir sur la portée du mythe de
l’amour lié à la mort
Eléments d’analyse en plus
Dans DJ on notera des couples d’opposition
- Le réprouvé / ses juges : il est question de la culpabilité de DJ
· DJ est un coupable, un transgresseur qui affronte ses juges.
· L’incitent au repentir
Ce n’est pas le jouisseur et le séducteur sans scrupules que le XVII
catholique jette en enfer, c’est l’offenseur de Dieu
· Le mort : agent de la transcendance, porteur autorisé d’une sorte de
jugement dernier
· A la fois délinquant condamné par la société et mais pécheur qui, par
son endurcissement, se trouve finalement privé de la grâce et rejeté
dans les ténèbres
· Justice divine mais aussi justice humaine représentée par toutes les
instances sociales : valets, frères, père : le père représente la loi IV,
4 : grand discours tenu au nom de la société aristocratique/ froide
insolence avec laquelle il accueille l’homélie paternelle (parole
homicide contre le père : Eh Mourez le plus tôt que vous pourrez)
· Le père s’adresse au délinquant / Elvire elle interpelle le pécheur
Donc si l’on s’en tient à la petite oraison funèbre prononcée par Sganarelle :
DJ a transgressé deux normes : Ciel offensé, lois violées
- Le comédien / les spectateurs : art d’acteur, virtuose de la parole et du
geste
· parfois même déguisement : pour aller séduire les femmes / chez
Ghelderode envoie son héros parodique chez le fripier pour louer le
costume du rôle de DJ
· ce qui est intéressant chez Molière : au lieu de faire de son héros un
spécialiste de la seule tromperie amoureuse, il étend sa compétence
de comédien à d’autres activités
· le marchand vient réclamer son dû : on le paie avec des mots
· maître de la parole car autorise ou interdit despotiquement l’usage
de la parole : mutisme ironique qui paralyse son interlocuteur :
« interrompez-moi donc, vous vous taisez exprès, et me laissez parler
par belle malice »
· thème baroque : fascination pour le masque
- Improvisateur / devant la permanence qui est symbolisée par la statue :
DJ conteste le temps
· Improvise : homme du perpétuel présent
· Rencontres imprévues
· Elvire symbolise le passé
· La statue : forme achevée de l’immobile
L’outrage le plus grave de DJ est l’invitation au Mort : enfreint l’interdit
fondamental séparant le monde des défunts et le monde des vivants
Lors de cette invitation au mort Acte IV : on assiste à un curieux dialogue où
les interlocuteurs sont en porte à faux
- la communication est retardée et en oblique
- au lieu de faire front et de s’entretenir avec la statue, c'est-à-dire avec
son véritable partenaire, DJ ne s’adresse qu’à son valet pour l’obliger à
la représenter
- malaise du héros devant une apparition dont il ne sait que faire
Pour l’acte IV : on parle de l’acte des fâcheux : il est chez lui et on vient
l’importuner/ Le Misanthrope
- conçoit toutes ces rencontres sous forme de défi : vaincre verbalement
Corpus Don Juan: un modèle de correction
Texte A : Tirso de Molina, Le trompeur de Seville (1630)
Texte B : Ernst-Theodor Hoffman, Don Juan un revolte en quete d’absolu (1814)
Texte C : Charles Baudelaire, « Don Juan aux Enfers » dans Les fleurs du mal
Texte D : Eric-Emmanuel Schmitt, La nuit de Valognes (1991)
Ces textes de corpus présentent chacun le mythe de Don Juan sous un certain angle. Ils sont de genres différents : théâtre pour Le trompeur de Séville de Tirso de Molina et dans La nuit de Valognes d’Eric-Emmanuel Schmitt ; roman pour Ernst-Theodor Hoffman dans Don Juan un révolté en quête d’absolu ; ainsi que de la poésie avec Charles Baudelaire et son poème « Don Juan aux Enfers ». On retrouve des Don Juan manipulateurs, conquérents, divins, maléfiques, romantique ou moderne selon les extraits. Quels aspects du personnage mythique de Don Juan apparaissent dans ces textes ?
Tout d’abord, Don Juan est présenté divin et maléfique, manipulateur et triomphant. En effet le texte de Tirso de Molina le montre fourbe, beau-parleur et impérieux. Il arrive à séduire une jeune mariée grâce à son éloquence. Sa victime dit « Tu parles si bien… » (l.47). Durant toute la scène, il mène. Ensuite dans le roman de Ernst-Theodor Hoffman, un Don Juan romantique est présenté. C’est alors un être d’exception, voué au triomphe et à la domination, mais il est partagé entre Dieu et le Diable. C’est un « conflit entre les puissances divines et les puissances démoniaques » (l. 16). Dans « Don Juan aux Enfers », on retrouve des éléments de la mythologie antique « une obole à Charon » (l. 2) et de l’œuvre de Molière « Don Luis » (l.10). Don Juan a une attitude noble, il accepte son châtiment lors de sa descente aux Enfers ; il ne se retourne pas et semble déterminé. Il incarne alors le péché absolu. Il est effectivement qualifié d’ « époux perfide » (l. 14).
Ensuite, on remarque que Don Juan a toujours besoin de plus, il est constamment en quête. Dans Le trompeur de Séville, on le voit en quête de femmes, en pleine séduction. Lorsque sa victime du moment, Aminta, a rendu les armes et s’extasie de leur futur ménage fidèle, lui répond : « Tu connais mal le trompeur de Séville… » (l. 70) preuve qu’il ne restera pas fidèle et compte rapidement se trouver une nouvelle conquête. On voit dans Un Don Juan en quête d’absolu que ce dernier en veut toujours plus, il a un « un désir éternellement brûlant » (l. 22). Dans le dernier texte, la nuit de Valognes, on voit un personnage qui se cherche toujours lui-même, il cherche à être satisfait et comblé. Il va alors découvrir que sa satisfaction va passer par autre chose que les femmes : il renaît « Mais Don Juan rejoint le jour, un homme naît » (l.63-64). Il utilise d’ailleurs le passé pour parler de ses conquêtes « Je ne connaissais que le sexe » (l. 17) et « s’apprête à plonger dans l’inconnu » (l.47).
Différents genres et mouvements littéraires nous ont présenté différents Don Juan, mais ce dernier garde néanmoins toujours certaines similitudes ; un libertin manipulateur, à la fois divin et maléfique, toujours triomphant. Ce personnage est aussi toujours en quête d’un idéal qui passe au départ par les femmes.
Réponse d'un élève
Corpus Don Juan:
Texte A : Tirso de Molina, Le trompeur de Seville (1630)
Texte B : Ernst-Theodor Hoffman, Don Juan un revolte en quete d’absolu (1814)
Texte C : Charles Baudelaire, « Don Juan aux Enfers » dans Les fleurs du mal
Texte D : Eric-Emmanuel Schmitt, La nuit de Valognes (1991)
Ces textes de corpus présentent chacun le mythe de Don Juan sous un certain angle. Ils sont de genres différents : théâtre pour Le trompeur de Séville de Tirso de Molina et dans La nuit de Valognes d’Eric-Emmanuel Schmitt ; roman pour Ernst-Theodor Hoffman dans Don Juan un révolté en quête d’absolu ; ainsi que de la poésie avec Charles Baudelaire et son poème « Don Juan aux Enfers ». On retrouve des Don Juan manipulateurs, conquérents, divins, maléfiques, romantique ou moderne selon les extraits. Quels aspects du personnage mythique de Don Juan apparaissent dans ces textes ?
Tout d’abord, Don Juan est présenté divin et maléfique, manipulateur et triomphant. En effet le texte de Tirso de Molina le montre fourbe, beau-parleur et impérieux. Il arrive à séduire une jeune mariée grâce à son éloquence. Sa victime dit « Tu parles si bien… » (l.47). Durant toute la scène, il mène. Ensuite dans le roman de Ernst-Theodor Hoffman, un Don Juan romantique est présenté. C’est alors un être d’exception, voué au triomphe et à la domination, mais il est partagé entre Dieu et le Diable. C’est un « conflit entre les puissances divines et les puissances démoniaques » (l. 16). Dans « Don Juan aux Enfers », on retrouve des éléments de la mythologie antique « une obole à Charon » (l. 2) et de l’œuvre de Molière « Don Luis » (l.10). Don Juan a une attitude noble, il accepte son châtiment lors de sa descente aux Enfers ; il ne se retourne pas et semble déterminé. Il incarne alors le péché absolu. Il est effectivement qualifié d’ « époux perfide » (l. 14).
Ensuite, on remarque que Don Juan a toujours besoin de plus, il est constamment en quête. Dans Le trompeur de Séville, on le voit en quête de femmes, en pleine séduction. Lorsque sa victime du moment, Aminta, a rendu les armes et s’extasie de leur futur ménage fidèle, lui répond : « Tu connais mal le trompeur de Séville… » (l. 70) preuve qu’il ne restera pas fidèle et compte rapidement se trouver une nouvelle conquête. On voit dans Un Don Juan en quête d’absolu que ce dernier en veut toujours plus, il a un « un désir éternellement brûlant » (l. 22). Dans le dernier texte, la nuit de Valognes, on voit un personnage qui se cherche toujours lui-même, il cherche à être satisfait et comblé. Il va alors découvrir que sa satisfaction va passer par autre chose que les femmes : il renaît « Mais Don Juan rejoint le jour, un homme naît » (l.63-64). Il utilise d’ailleurs le passé pour parler de ses conquêtes « Je ne connaissais que le sexe » (l. 17) et « s’apprête à plonger dans l’inconnu » (l.47).
Différents genres et mouvements littéraires nous ont présenté différents Don Juan, mais ce dernier garde néanmoins toujours certaines similitudes ; un libertin manipulateur, à la fois divin et maléfique, toujours triomphant. Ce personnage est aussi toujours en quête d’un idéal qui passe au départ par les femmes.
Marcel Bluwal
1965
Entretien avec Marcel Bluwal
Entretien avec Marcel Bluwal paru dans DOM JUAN MolièreEntretien avec Marcel Bluwal paru ,
Entretien avec Marcel Bluwal paru dans DOM JUAN Molière
Dom Juan de Molière vous a inspiré un téléfilm pourquoi ce choix ?
Le théâtre de Molière, et en particulier Dom Juan, est l'affirmation toute moderne de l'agressivité des êtres ; c'est l'analyse aiguë du rapport trouble entre le vainqueur et le vaincu, entre le fort et le faible ; le théâtre classique est basé sur l'opposition dans le couple. Et le film met en relief cette dimension moderne.
Qui forme un couple dans Dom Juan ?
Dom Juan et Elvire aussi bien que Dom Juan et Sganarelle Dom Juan et Dom Louis, son père, aussi bien que Dom Juan et le Pauvre. Toute la pièce de Molière est construite sur cette conception du couple, et ce rapport révèle l'un des aspects les plus importants du personnage de Dom Juan sa préoccupation fascinante de dominer l'autre, de le vaincre, de le posséder.
Y a-t-il un autre aspect du Dom Juan de Molière qui vous semble très important ?
L'art avec lequel le dramaturge Molière sait ruser pour faire le procès de l'idéologie morale, religieuse et politique de son temps. Au XVII' siècle, Dom Juan a un peu moins scandalisé que le Tartuffe , mais c'est une pièce "gênante "qui sera écartée de la scène pendant tout le XVIII' et la première moitié du XIX'. Il faudra attendre, en fait, la mise en scène de Jean Vilar en 1953, pour que ce procès de l'idéologie soit enfin représenté.
Comment avez-vous conçu votre propre mise en scène ?
J'ai tout basé sur une espèce de quadruple insurrection de Dom Juan contre son père : le père sous la forme de Dieu, le père sous la forme du roi représentant tout état social, l'insurrection contre le père lui-même, et enfin le défi à lastatue du Commandeur, incarnation plastique extraordinaire de tous les pères à la fois ; toutes ces révoltes sont menées au nom d'une affirmation de la liberté pour l'homme.
Dom Juan est donc pour vous l'histoire d'un homme qui se révolte contre l'autorité paternelle ?
A condition de considérer que cette révolte a été librement consentie par Dom Juan comme une solution qui le conduira irrémédiablement au suicide.
Comment avez-vous traduit la mort de Dom Juan ?
D'abord, en préférant le téléfilm au film pour grand écran. La télévision m'a permis de " révéler " Dom Juan au grand public comme un suicidaire, alors que Dom Juan au cinéma aurait attiré seulement quelques initiés qui auraient perçu cette dimension de l'œuvre comme une adaptation, un point de vue subjectif. Le téléfilm m'a permis de concevoir la pièce comme une sorte de longue marche de Dom Juan vers la mort, à travers tous les décors, jusqu'à la montée au sacrifice final.
Le théâtre n'aurait-il pas pu reproduire cette marche ?
Le téléfilm me permettait d'utiliser beaucoup plus de " signes " pour donner ce sens à la pièce , la novation la plus complète par rapport au théâtre étant la traduction physique de la démarche de Dom Juan vers la mort il l'accomplit à cheval depuis le début (dès l'acte 1 sa première rencontre avec Elvire se situe dans des écuries monumentales que j'ai filmées à Chantilly), jusqu'au seuil de la maison du Commandeur, dans l'acte final.
Y a-t-il d'autres " signes " que la chevauchée vers la mort, dont vous ayez souligné l'importance ?
Le pouvoir de Dom Juan sur les autres est symbolisé par son épée ainsi, lorsqu'il entame sa montée vers le Commandeur, il abandonne son cheval et son épée, caractérisant ainsi sa volonté de suicide
Pourquoi parlez-vous de ce suicide comme d'une " montée " vers le Commandeur ?
J’avais demandé que la statue du Commandeur eût une taille de quatre mètres et qu'elle restituât l'effroi créé par certaines statues monumentales du Bas-Empire romain. J'avais demandé qu'on la plaçât en haut des quarante marches d'un pavillon ; Dom Juan " monte " ainsi vers elle pour accomplir son suicide comme vers un autel sacrificiel inca.
Quel est le jeu de Sganarelle à travers cette chevauchée de Dom Juan vers la mort ?
Sganarelle suit Dom Juan sur un mulet, car la chevauchée de Dom Juan est également une errance, une interrogation sur le sens de la vie ; mon film s'inspire parfois de certains tableaux : Quichotte et Sancho de Daumier, Faust et Mephisto de Delacroix, Le Chevalier et la Mort de Dürer.
Pour interpréter Sganarelle, vous avez choisi Claude Brasseur, alors que le rôle de Dom Juan est tenu par Michel Piccoli ; pourquoi ?
J'ai choisi un Sganarelle (C. Brasseur) plus jeune que Dom Juan (M. Piccoli) pour souligner l'admiration éperdue, même dans la critique, du valet à l'égard de son maître. Je voulais traduire cette relation si particulière des couples d'amis dans le théâtre de Molière (voyez le Misanthrope et Philinte - Tartuffe et Orgon) ; cette relation amicale ressemble aux rapports amoureux. Molière - comme Shakespeare d'ailleurs - n'établit pas de différence fondamentale dans l'affectivité entre les couples d'hommes et de femmes, et il n'est pas nécessaire de le taxer d’homosexualité pour autant.
Et Piccoli ?
J'ai trouvé en Piccoli un Dom Juan idéal parce qu'il n'y a aucune explication mécaniste à la séduction de Piccoli ; or, c'est la caractéristique de Dom Juan : son pouvoir de séduction est un " donné " sur lequel il ne s'explique pas et dont il souffre autant qu'il en profite : séduction sur les femmes qui se transforme en pouvoir sur les hommes. J'ai cherché à détruire au maximum toute relation de Dom Juan avec un séducteur vulgaire, soucieux de son physique il est à l'antithèse d'un Lovelace* ; Piccoli devait apparaître avec son début de calvitie et mal rasé, pour interpréter cette dernière journée de Dom Juan avant son suicide.
Comment avez-vous choisi les costumes ?
Dom Juan, le cavalier, est habillé de cuir. Nous avons renoncé aux canons de dentelle et aux perruques, mais nous n'avons pas pour autant actualisé ; notre vêtement est en quelque sorte intemporel. Les costumes des autres hommes reproduisent, mais en drap, le costume de cuir de Dom Juan, et ils sont bottés comme lui : traduction, au-delà de l'opposition apparente, de l'identité profonde avec lui, et de l'admiration pour lui.
Et les décors ? la musique ?
Les extérieurs sont souvent tournés dans les " Salines de Chaux " qui en imposent par leur architecture gigantesque. Pour le premier acte, j'ai fait vider les
salons du Trianon- Palace* à Versailles : Dom Juan et Sganarelle, minuscules devant les immenses baies et les longs couloirs, ont toujours l'air " de passage ". La plage, au deuxième acte, est réduite à une interminable bande de sable gris.
Je mêle également certains aspects baroques des décors d'église (des angelots par exemple) aux formes géométriques du triangle et de la sphère qui symbolisent la franc-maçonnerie ; cette ambiguïté de l'errance religieuse de Dom Juan est soulignée tout au long du film par la Marche funèbre maçonnique, et le Requiem de Mozart.
*Lovelace :personnage de Clarisse Harlowe, roman de Richardson, séducteur cynique
*Trianon-Palace : hôtel.
Tirso de Molina, Le Trompeur de Séville (El Burlador de Sevilla), 1630
Don Juan a été invité à souper, avec son valet Catalinon, par Don Gonzalo, le Commandeur de Calatrava, tué autrefois par lui, et revenu tout exprès de l'autre monde pour l'y ramener:
DON GONZALO Assieds-toi.
CATALINON Moi, seigneur?... C'est que j'ai déjà diné...
DON GONZALO Ne réplique pas.
CATALINON Je ne réplique pas... Mon Dieu, tirez-moi de ce pas!... Quel est ce plat, seigneur ?
DON GONZALO Ce plat? Des scorpions et des vipères.
CATALINON C'est exquis!
DON GONZALO C'est notre ordinaire... Tu ne manges pas ?
DON JUAN Je mangerais tous les serpents de l'enfer, si tu me les servais.
DON GONZALO Je veux aussi t'offrir un concert.
CATALINON Quel est ce vin ?
DON GONZALO Goûtes-en.
CATALINON Pouah! cela tient du fiel et du vinaigre!
CATALINON Quel est ce ragoût ?
DON GONZALO Il est fait d'ongles noirs.
CATALINON Des ongles de tailleur, sans doute...
DON JUAN J'ai fini de souper, qu on desserve la table.
DON GONZALO Donne-moi la main. N'aie pas peur.
DON JUAN Moi, peur? (Il lui tend la main.) Ah! ton feu me brûle!
le Trompeur de Séville et l'invité de pierre, III, 20., 1630
Cicognini, Il Convitato di pietra 1640 ou 50
Dorimond, Le Festin de pierre ou le Fils criminel
Goldoni Don Giova,nni Tenorio ossia il dissoluto , 1736
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791), DON GIOVANNI, 1787
Mozart compose l'opéra de Don Giovanni en l787,sur un livret du librettiste Da Ponte (1749-1838)
GIOVANNI (éclate de rire). |
GIOVANNI (ridendo forte) COMMENDATORE Di rider finirai prima dell'aurora. GIOVANNI Chi ha parlato? LEPORELLO (estremamente impaurito) Ah! qualche anima Sarà dell'altro mondo, Che vi conosce a fondo. GIOVANNI Taci, sciocco! (mette mano alla spada) Chi va là ? chi va là ? COMMENDATORE Ribaldo! audace! Lascia a' morti la pace. LEPORELLO (tremando) Ve l'ho detto ?... GIOVANNI Sarà qualcun di fuori Che si burla di noi... Ehi! del Commendatore Non è questa la statua ? Leggi un poco quella iscrizion. - LEPORELLO Scusate... Non ho imparato a leggere A' raggi della luna. GIOVANNI Leggi, dico. LEPORELLO (leggendo) "Dell'empio, che mi trasse al passo estremo Qui attendo la vendetta." Udiste ?... Io tremo ! GIOVANNI Oh, vecchio buffonissimo! Digli che questa sera L'attendo a cenar meco. LEPORELLO Che pazzia! Ma vi par?... Oh Dei! mirate Che terribili occhiate - egli ci dà ...Par vivo... par che senta...E che voglia parlar... GIOVANNI Orsù, va là. O qui t'ammazzo e poi ti seppellisco. LEPORELLO Piano... piano..., signore... ora ubbidisco. O statua gentilissima Del gran Commendatore... Padron... mi trema il cote Non pos ... so... ter ... mi ... nar GIOVANNI Finiscila, o nel petto Ti metto - quest'acciar. (Che Susto! che spassetto! Lo voglio far tremar.) LEPORELLO Che irnpiccio! - che capriccio! Io sentomi gelar! O statua gentilissima Benchè di marmo siate... Ah! padron mio... mirate... Che seguita ... a guardar... GIOVANNI Mori... LEPORELLO No, no... attendete... Signor, il padron mio Badate ben... non io Vorria con voi cenar Ahi! ahi! che scena è questa! Oh ciel!... chinà la testa... GIOVANNI Va là, che se' un buffone. LEPORELLO Guardate ancor... padrone... GIOVANNI E che degg'io guardar? LEPORELLO Colla marmorea testa Ei fa... cosi... cosi... GIOVANNI (Colla marmorea testa, Ei fa cosl... cosi!) (verso la statua) Parlate, se potete: Verrete a cena ? COMMENDATORE si. LEPORELLO Mover... mi... posso appena Mi manca, oh Dei!... la lena Per carità... partiamo... Andiamo - via di qua. GIOVANNI Bizzarra è inver la scena! Verrà il buon vecchio a cena! A prepararla andiamo: Partiamo - via di qua. (Partono.) Don Giovanni, 1787. |
Nikolaus Lenau, Don Juan 1844
A la fin du poème dramatique de l'écrivain romantique allemand Lenau, apparaît Don Pet (personnage grotesque : Pet= Pedro= Pierre), accompagné par toutes les maîtresses et des bâtards de Don Juan. Don Pet provoque Don Juan en duel . Ce dernier décide alors, avant de se battre, de coucher sur son testament ses 1003 maîtresses .
DON JUAN (lisant la liste, à part lui)
Souvenirs, dames autrefois aimées! desséchées jusqu'à la fleur dernière, jadis céleste musique ce qui à présent est un mot insipide. Que les choses se fanent donc vite, et les noms! Encore une fois le souvenir me fait passer de l'une à l'autre de ces gracieuses dames.Coutume pleine de sens que de sacrifier tous les ans sur l'autel des dieux les premiers-nés. Qu'elle est aimable, la première verdure des feuilles, le premier parfum, le premier chant d’une journée printanière ! qu’il est délicieux en mer près du lointain rivage, le premier coup d'œil sur la terre désirée! Les premières couronnes de la gloire sont aussi les plus brillantes, c'est le premier baiser qui donne l'ivresse la plus douce. S'il est encore dans l'au-delà un ciel, il doit lui aussi être au plus beau à sa frontière. C'est pourquoi l'on pouvait nommer ce qu'il y a de plus doux dans l'amour le premier effleurement d'une passion nouvelle. La tristesse provenant de ce que d'anciens enchantements se dissolvent rehausse l'attrait et la force du nouveau bonheur. Pourquoi faut-il que la source la plus riche tarisse! Oh! si nous pouvions mourir en chaque plaisir et renaissant avec un cœur rajeuni, nous précipiter au devant de délices toujours nouvelles!
(A Don Pedro.)
Voulez-vous prendre charge de ce document et l'exécuter ?
DON PEDRO
Sur ma parole de chevalier! par égard pour les délaissées.
DON JUAN (lui tendant le document)
C'est bien! Montrez maintenant si vous possédez l'art de l'escrime. Que vous êtes une mazette, je vais vous le prouver.
(Ils se battent.)
DON JUAN
Vraiment, vous êtes ce pour quoi je vous ai pris. Trois fois déjà j'aurais facilement pu vous percé le cœur, ce cœur si plein de haine, mais si mal protégé, si je me servais plus sérieusement de mon épée .Voici touché -encore touché - et encore! Vous versez bien du sang sur mes planches. En maints endroits je vous ai mis en perce, mais je ne vous fais en jouant que des piqûres légères. Don Pedro, par ma foi, je ne me suis jamais senti plus à l'abri que devant votre attaque. Le duel avec vous, je l'appelle jeu d'enfant. Oui, votre escrime est de tout repos.
DON PEDRO
Inflige-moi la mort, non ces petites saignées. Ne me fais pas d'affront, homme exécré! Au combat le diable seul peut te vaincre. Pousse ferme, que je ne puisse plus te voir!
DON JUAN
Mon ennemi mortel est livré entre mes mains. Mais cela même m'indiffère, comme la vie tout entière.
(Il jette son épée, Don Pedro le transperce).
NIKOLAUS LENAU (1802-1850), Don Juan (1844) fin, (trad. W. Thomas).
Alexandre Pouchkine, Le Convive de pierre 1830
Musset , une matinée de Don Juan , 1833
Edmond Rostand, La Dernière Nuit de Don Juan 1921
Max Frisch, Don Juan ou l'amour de la géométrie 1969
Henri de Montherlant, Don Juan ou la Mort qui fait le trottoir 1958
Roger Vailland, Monsieur Jean 1959
Pour aller plus loin : consultez les documents du site
Date de dernière mise à jour : 26/07/2021