Sujet 3, sujet EAF corrigé : séries technologiques, la poésie, Cocteau, Ponge, Réda
Sujet 3 - Séries technologiques
Objet d’étude : la poésie
TEXTES
- A. Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre.
- B. Françis Ponge, “ Le pain ”, Le Parti pris des choses.
- C. Jacques Réda, “ La bicyclette ”, Retour au calme.
A. Présentation du sujet
Les textes regroupés dans ce corpus sont constitués d’un extrait théorique présentant les
conceptions d’un écrivain par ailleurs poète, et de deux poèmes datant du XXème siècle et
rejoignant, de manières diverses, les principes édictés par Cocteau. Le poème en prose de
Ponge constitue l’exemple le plus frappant du renouvellement des choix poétiques effectués ; le
poème de Réda s’inscrit de manière ténue dans le cadre d’une forme poétique plus identifiable
par les élèves, grâce notamment à la présence de vers, d’assonances et de procédés
rythmiques caractéristiques de la poésie. Les deux textes sont, en revanche, proches sur le
plan thématique : ils prennent tous les deux appui sur un objet quotidien.
Ce corpus place les élèves face à des formes poétiques contrastées ; il correspond à l’un
des objets d’étude préconisés par le programme, la poésie, et aux perspectives d’étude liées
aux genres et aux registres. Même si le mouvement littéraire n’est pas un objet obligatoire en
séries technologiques, les élèves ont pu réfléchir au fil de l’année au sens de l’évolution des
formes littéraires et aux choix d’écriture effectués par les auteurs. En première, l’étude de la
poésie doit être conduite en prenant appui sur les particularités de l’expression poétique, et
quels qu’aient été les choix de l’enseignant, tout élève se trouve doté, en fin d’année, d’un
vocabulaire d’analyse et de capacités de réflexion sur le travail poétique.
Ce sujet permet d’évaluer particulièrement la maîtrise des connaissances propres à l’objet
d’étude, telles que l’aptitude à reconnaître les formes poétiques, à analyser les liens entre
formes prosodiques et sens du texte, à identifier les images et autres figures, à appréhender
une démarche poétique.
B. Questions
1. Reformulez brièvement :
- la conception de la poésie que Cocteau refuse ;
- celle qu’il propose.
2. A laquelle de ces deux conceptions les poèmes qui vous sont proposés correspondent-ils ? Justifiez votre réponse par quelques éléments
précis tirés des textes du corpus.
Proposition de corrigé
Question 1
La conception de la poésie que Cocteau refuse est celle d’un art nécessairement associé à
l’Idéal, à la recherche d’une beauté inaccessible. Cette conception, héritée de l’Antiquité et
revisitée par les poètes de la Pléiade, est évoquée ironiquement dans la première phrase sous
la forme d’une allégorie, “ une dame voilée, langoureuse… ”, renvoyant à la muse inspiratrice.
Reprise au début du troisième paragraphe, plus explicitement cette fois, elle vise par le terme
de “ mauvais poètes ” des écrivains tels que les Parnassiens (Leconte de Lisle, Hérédia…).
Cocteau préconise au contraire une poésie du quotidien, consistant non à privilégier des
éléments du réel choisis pour leur supposée qualité esthétique, mais plutôt à renouveler le
regard porté sur l’environnement le plus prosaïque, afin d’éclairer sa beauté propre, son
identité. Les termes employés par le poète pour qualifier cette transfiguration appartiennent au
réseau lexical de la lumière : “ un éclair ”, “ elle dévoile ”, “ une lumière qui secoue sa torpeur ”.
Ils renvoient à une activité sensorielle pleine : “ voir ”, “ entendre ”, “ nous ouvre les yeux ”,
“ nous débouche les oreilles ”. La poésie telle que l’envisage Cocteau suppose donc une
opération de transfiguration évoquée sous la forme de l’injonction à la fin du texte : le poète est
celui qui procède à une transmutation du langage, qui vivifie les lieux communs.
On attend des élèves qu’ils repèrent les thèses en présence (identification du rejet manifesté
implicitement par l’allégorie initiale, puis explicitement), qu’ils prennent appui sur les réseaux
lexicaux, les modalisateurs (“ il est vrai ”…) , qu’ils élaborent une reformulation effective des
thèses et ne se contentent pas d’un simple relevé des parties du texte.
On n’attend pas des élèves des références culturelles précises, mais le corrigé peut être
l’occasion de préciser quelques éléments d’histoire littéraire. De même, les justifications
empruntées au texte de Cocteau sont bienvenues et valorisées. Mais, comme elles ne sont pas
demandées par la consigne, leur absence ne devrait donc pas être sanctionnée.
Question 2
Les poèmes de Ponge et de Réda répondent chacun à leur manière aux attentes de Cocteau.
Réda opère dans son texte une transfiguration d’un objet technique appartenant au domaine
du sport ou à l’univers de l’enfance. En saisissant les mouvements infimes de la lumière sur un
objet banal, en les traduisant par les images des “ gouttes d’or ” (vers 6), du “ feu vert et doré ”
(vers 11), il entraîne le lecteur dans l’expérience sensorielle qu’il a connue, lui offre ainsi une
image renouvelée de la bicyclette désormais métamorphosée en oiseau (vers 9), puis en
planète (vers 21). L’objet quotidien est donc devenu presque surnaturel, et le poète a ainsi
rempli la mission que lui confère Cocteau.
Ponge, lui, appelle l’attention du lecteur sur l’un des objets les plus familiers, le pain, mais
use d’effets de grossissement qui le rendent presque inconnu. La métaphore filée de la
géographie et de la géologie, présente par les termes de “ vallées, crêtes, ondulations,
crevasses… ” contraint le lecteur à redécouvrir des formes maintes fois rencontrées. Le travail
poétique effectué sur les sonorités, les allitérations en “ f ”, en “ s ”, participent de cet appel au
sens revendiqué par Cocteau. Enfin, Ponge dans ce texte interpelle son lecteur : le jeu de
mot “ brisons-la ”, pourrait être entendu comme “ brisons-là ” ; il rappelle que la poésie
humblement s’efface pour s’inscrire dans le quotidien. Le “ respect ” mentionné par Ponge peut
en effet rappeler la conception idéale et élevée du travail langagier refusé par Cocteau. En cela,
le poème a presque valeur d’art poétique.
Critères d'évaluation
On évaluera par ce travail d’écriture :
- les compétences de lecture autonome de textes poétiques : les textes proposés ne
présentent pas de difficulté de lecture insurmontable ; ils peuvent cependant désorienter des
élèves qui n’auraient pas eu l’occasion de réfléchir à une représentation conventionnelle de la
poésie ;
- la capacité à comparer les thèses mises en valeur précédemment et les principaux choix
poétiques effectués par les auteurs : thème emprunté au quotidien, forme poétique, travail sur
le langage (images, travail prosodique…).
C. Commentaire
Vous commenterez le texte “ La bicyclette ”(texte C) à partir du parcours de lecture suivant :
Etudiez comment s’effectue dans le poème la métamorphose d’un objet quotidien.
Montrez comment l’ensemble des ressources poétiques (rimes, rythmes, sonorités, réseaux lexicaux, images… ) est utilisé pour créer un effet d’harmonie et de sérénité.
La première étape du parcours se fixe sur la manière dont la bicyclette, rencontrée au
hasard d’une déambulation, retient le regard du passant. L’élève doit donc montrer comment le
poète traduit par un flot d’images la métamorphose de cet objet technique et banal sous l’effet
d’une lumière ardente de soleil couchant. Le texte déroule le récit de cette transfiguration
progressive, mais la communication de cette aventure sensorielle ne peut s’effectuer sans un
ralentissement auquel invite un ensemble de ressources poétiques, objet de la seconde partie
de l’étude attendue ici.
Ce poème de Jacques Réda, extrait de son recueil Retour au calme, marque par le titre
même du recueil la rupture nécessaire avec l’agitation quotidienne : un changement de rythme
s’impose pour permettre l’observation attentive de la métamorphose opérée par la lumière du
soir sur le vélo. La sérénité dans laquelle s’installe l’observateur favorise l’acuité du regard et la
mobilisation de toutes les activités sensorielles. L’harmonie sonore qui baigne le poème
cherche dès lors à traduire la plénitude de l’expérience sensible.
Eléments de corrigé
I. Première partie de l’étude
1. Le cadrage du récit, la mise en place des circonstances, la création d’une temporalité :
- rôle du participe présent (vers 1),
- repères temporels (“ à six heures ”, “ soudain ”, le verbe “ continue de ”, l’adverbe “ alors ”),
- référence aux éléments extérieurs (la rue, au vers 10, le chien, au vers 13).
Ces éléments conduisent à la perception de l’effet de la lumière.
2. Le rôle de la lumière, illustré par les multiples images qui en sont proposées : vers 3 à 6, vers 11, vers 20-21.
3. La métamorphose opérée :
- la première présentation de l’objet par l’alexandrin parfait du vers 7,
- la métaphore de l’oiseau,
- la mise en évidence par le rejet et l’antithèse du vers 9,
- le dernier quatrain (effets rythmiques, verbes d’action, le motif de l’élévation, l’alchimie
opérée par la lumière).
II. Deuxième partie de l’étude
1. La perception sensorielle accrue :
- l’attention portée au silence (vers 10), aux bruits (vers 13), aux détails concrets de
l’environnement observé (“ vitres en losange ” au vers2, “ carreau ” au vers 12).
- l’évocation d’une rêverie intérieure par les verbes (“ on pense ”, “ on devine ”)…
2. La présence du sujet observant, discrètement rappelée par le pronom “ on ” qui ponctue
les étapes de la métaphore, mais sans qu’aucune subjectivité affirmée ne vienne s’intercaler
entre le lecteur et la transfiguration opérée.
3. La forme du poème en vers assonancés, la présence de quelques traits qui l’apparentent
à une forme classique, comme la présence de quatrains au début et à la fin du texte. Ces
caractéristiques formelles permettent d’installer une harmonie sonore.
D. Dissertation
Jean Cocteau définit dans les termes suivants l’effet que doit provoquer la poésie chez le lecteur : « lui montrer ce sur quoi son coeur, son oeil
glissent chaque jour, sous un angle et une vitesse tels qu’il lui paraît le voir et s’en émouvoir pour la première fois ».
Dans quelle mesure partagez-vous cette conception de la poésie ? Vous répondrez à cette question en un développement argumenté, appuyé
sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
Eléments de corrigé
Jean Cocteau récuse la recherche du beau langage, du beau thème, et prône au contraire
une poésie du quotidien, qui s’inscrit dans le trivial et le banal. Est poète celui qui cherche à agir
sur le réel, à le transfigurer, et ainsi parvient à réveiller les émotions du lecteur en lui offrant une
perception et une sensation nouvelles. Cocteau n’hésite pas pour défendre sa conception à
user d’un langage presque didactique, insistant sur le fait que la poésie doit “ montrer ”
l’essentiel et pour cela user d’un “ angle et d’une vitesse ” particuliers. Par ces termes, il semble
que le poète renvoie à un travail langagier effectué sur les mots mêmes, comme l’énonce
d’ailleurs son texte programmatique extrait du Rappel à l’ordre. Il s’agira donc dans cette
réflexion de s’interroger sur la fonction assignée à la poésie, sur son aptitude à convoquer
conjointement l’expérience sensorielle et affective du lecteur, pour nous demander ensuite si la
poésie ne pourrait pas aussi faire appel à la culture, à la tradition dans laquelle elle s’inscrit. Elle
permettrait de la sorte le partage d’expériences qui nous sont communes par delà les frontières
mêmes du langage.
Proposition de plan
I. Une poésie à contre-courant ?
1. Une poésie qui n’hésite pas à battre en brèche nos habitudes intellectuelles, notre confort,
en refusant par exemple de s’inscrire dans le cadre habituel de la norme référentielle du
langage.
2. Une poésie inscrite dans le quotidien, refusant les traditionnels sujets poétiques.
3. Une poésie qui peut ainsi explorer, jusqu’à l’excès, l’envers du réel, par exemple dans des
expériences telles que celle de Baudelaire dans "La charogne".
II. Une poésie qui refuse de survoler hâtivement le réel pour mieux « le voir et s’en émouvoir ».
1. Une poésie renouvelant le regard du lecteur grâce à la mobilisation de ses sens et de ses émotions.
2. Une poésie de la transfiguration qui oblige à s’ouvrir à des équivalences, qui privilégie l’image, l’analogie
. Ex : « Le pain », « La bicyclette » ; on pourrait par exemple développer
l’exemple offert par “ Le pain ” en rappelant comment la langue ordinaire parle de la “ croûte ”
du pain, mais omet le rapprochement avec celle de la terre. "La bicyclette" de Jacques Réda se
fond dans le paysage et s’en attribue les formes par la magie du langage poétique.
3. Une poésie du dévoilement qui vise à construire l’unicité de chaque expérience poétique.
III. Une conception poétique partagée par le lecteur ?
(Cette dernière partie fait appel au point de vue de l’élève, à la place et à la fonction qu’il
assigne à l’expérience poétique). Par exemple :
1. Une poésie qui nous offre la joie de recréer la réalité.
2. Une poésie qui fait appel non seulement à nos propres sensations, mais à une fraternité,
une communion. Force du lyrisme, y compris dans des formes très codifiées qui laissent le
partage de l’intime affleurer. Exemple : Louise Labé, « Je vis, je meurs… », ou dans un autre
registre les poèmes d’Eluard extraits de Capitale de la douleur.
3. Une poésie de l’ouverture à une voix qui rejoint un combat universel, qui s’élève pour
transcrire l’expérience de la douleur propre à tous les opprimés, en empruntant la diversité des
ressources propres au langage poétique. Exemple : Victor-Hugo, “ Où vont tous ces enfants ? ”
E. Invention
Le journal de votre lycée a proposé un concours de poésie. Vous avez remporté le prix. Le rédacteur du journal vous demande donc d’exposer
le rôle que vous attribuez personnellement à la poésie. Vous rédigez cet article.
Critères d'évaluation
Un tel sujet permet d’évaluer nombre de compétences :
- l’aptitude à endosser une identité fictive, ici celle d’un lycéen, amateur de poésie et
susceptible de participer à un concours et de le remporter ;
- la capacité à exprimer un engagement personnel nuancé ;
- l’aptitude à tenir compte du genre imposé, en l’occurrence un article de presse, dans un
journal lycéen : le support autorise un jeu avec les lecteurs, une connivence, mais en même
temps impose le recours à des genres sociaux précis : l’article classique, mais aussi la lettre
ouverte, la réponse à un article fictif précédent (inscription dans le genre de la contreargumentation),
d’autres formes encore…
- l’usage de procédés rhétoriques aptes à persuader et/ou convaincre l’auditoire, en fonction
de la stratégie choisie ;
- la capacité à concevoir un argumentaire à partir d’une problématique littéraire. Cette
compétence peut sembler ambitieuse en séries technologiques, mais beaucoup d’élèves
pratiquent eux-mêmes l’écriture - y compris poétique -, écrivent des chansons.
Pour aller plus loin
Date de dernière mise à jour : 26/02/2021