Sujet 6, EAF, sujet corrigé, séries générales, objet d'étude, le biographique, Chateaubriand, Rousseau, Sarraute
Sujet 6 - Séries générales
- Objet d’étude : le biographique
- Sujet corrigé EAF
- TEXTES
- A. François René de Chateaubriand (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe, livre premier, chapitre 3 (manuscrit de 1847), Bibliothèque de la
- Pléiade, Gallimard.
- B. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Les Confessions, Livre 1, 1771, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
- C. Georges Perec, (1936-1982), W ou le Souvenir d’enfance, Editions Denoël, 1975.
- D. Nathalie Sarraute (1900-1999), Enfance, Editions Gallimard, 1995.
A. Présentation du sujet
Le corpus de textes s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « Le biographique ». Il se centre
sur quatre textes de nature autobiographique propres à éclairer un aspect majeur mais non
unique de l’objet d’étude. La question préalable porte sur la mémoire et le souvenir ; elle vise à
engager la réflexion sur la diversité des démarches de réappropriation ou de recomposition du
passé. La mémoire n’est pas l’enregistrement passif d’une époque révolue, le souvenir n’est
pas la simple convocation du passé. Le corpus offre une diversité de textes destinés, par leurs
divergences et leurs convergences, à aider l’élève dans l’approche problématisée de
l’entreprise autobiographique. Les élèves pourront donc s'appuyer sur leurs connaissances des
différents genres (autobiographie, souvenirs, mémoires) relevant des écritures
autobiographiques.
Les professeurs gagneront à s'appuyer sur les propositions de Jean Starobinski, qui évoque
une double tonalité - la tonalité élégiaque, la tonalité picaresque - dans l’entreprise
autobiographique ; la distinction s'avère pertinente pour l'ensemble du genre. (Jean Starobinski,
La Relation critique, L'OEil vivant II).
B. Question
Analysez rapidement le fonctionnement de la mémoire et des souvenirs dans chacun de ces textes.
Proposition de corrigé
- Convergences :
Tous les textes montrent l’importance de l’enfance dans la mémoire et le rôle des
sensations. Tous permettent de distinguer le « je » narré du passé et le « je » narrant et posent
le problème de leurs liens complexes.
- Divergences :
Au foisonnement des souvenirs de Rousseau s’oppose l’ordonnancement analytique de
ceux de Perec ; au souvenir exhibé comme trompeur par Nathalie Sarraute s’oppose le
souvenir feint de Chateaubriand, soucieux de recréer son passé et de le construire en destin.
La réponse, volontairement détaillée, ne correspond pas aux attentes du professeur vis-à-vis
des élèves ; elle vise à montrer la richesse d'une exploitation en cours. Si l’élève réussit à
repérer les éléments mentionnés plus haut sous la rubrique « convergences / divergences », il
aura perçu l’essentiel du fonctionnement de la mémoire et des souvenirs dans chacun des
textes et pourra donc, dans un second temps, mener à bien l’un des trois sujets suivants.
On attend que les élèves remarquent l’originalité du texte de Chateaubriand qui raconte sa
naissance alors qu’il ne peut s’en souvenir consciemment. Il s’agit donc d’un souvenir façonné
à partir du récit de son entourage, représenté par le « on » : « on m’a souvent conté ces
détails ». On remarque aussi l’empreinte laissée par les récits de sa naissance, trace
apparemment aussi forte que des souvenirs directs. Se mêlent donc mémoire et
imagination : « Il n’y a pas de jour où rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée … ».
Rousseau ne raconte pas un souvenir précis mais s’intéresse au fonctionnement de sa
mémoire qui privilégie les souvenirs agréables au détriment de ceux qui furent désagréables :
« je sens que ces mêmes souvenirs renaissent tandis que les autres s’effacent, et se gravent
dans ma mémoire avec des traits dont le charme et la force augmentent de jour en jour ». Il
constate qu’un souvenir se transforme au fil du temps. Contrairement à Chateaubriand, il insiste
sur le plaisir qui accompagne la remémoration : « toutes les petites anecdotes de cet heureux
âge, qui me font tressaillir d’aise quand je me les rappelle ». Il montre donc le caractère affectif
de la mémoire.
Chez Perec, on note le souci de précision du narrateur qui compte ses souvenirs et cherche
à en reconstituer le déroulement avec le plus de détails possible. L’emploi dominant du présent
de narration dans le récit des trois souvenirs d’école montre la persistance du souvenir dans la
mémoire et son caractère intemporel. Le narrateur analyse l’acte de remémoration et le travail
de sélection de la mémoire. Il interprète l’intensité du dernier souvenir par son lien avec un
autre souvenir, celui du port de l’étoile jaune. Les trois souvenirs évoquent le corps en
mouvement et deux relatent une bousculade. Tous les souvenirs ne sont pas conscients, ils
appartiennent à des chaînes associatives. Cette approche témoigne d’une influence possible de
la psychanalyse.
La syntaxe originale du premier paragraphe du texte de Nathalie Sarraute et sa ponctuation
(cascade de compléments circonstanciels, parataxe, points de suspension) révèlent le
caractère discontinu, inachevé et éclaté des souvenirs. Ils « miment » l’effort de la mémoire
pour exhumer le passé.
La deuxième partie du texte, dialogue de la narratrice avec elle-même, engage une réflexion
sur l’écriture des souvenirs et souligne la tentation d’enjoliver et de transformer le souvenir
brut : « […] mais ne crois-tu pas que là, avec ces roucoulements, avec ces pépiements, tu n’as
pas pu t’empêcher de placer un petit morceau de préfabriqué […] ».
C. Commentaire
Vous commenterez le texte de Chateaubriand (texte A ).
Souvenir ou absence de souvenir ? Le texte met en scène un souvenir inventé, recréé. Il se
caractérise par l’importance problématique donnée à la naissance dans une autobiographie.
Peut-être peut-on y voir une mise en abyme de la destinée de l’auteur et des thèmes majeurs
du livre ; le texte annoncerait alors la suite des Mémoires d'outre-tombe. Le commentaire
proposé par l'élève peut prendre des formes diverses. Quelle que soit la démarche choisie, il
devra prendre en compte cette question de la recréation du souvenir.
On pourrait, entre autres exemples, envisager le plan suivant.
I. Le récit de la naissance : la reconstitution d’un souvenir indirect
1. Un souvenir indirect :
Les faits sont reconstitués à partir du récit oral de témoins de sa naissance.
2. Le souci d’exactitude, de précision :
- Le cadre spatial : nom de ville, rue ; opposition entre intérieur et extérieur.
- Le cadre temporel : la saison, l’équinoxe.
- Les personnages : mère, frère, marraine nommée précisément.
- Gage de vérité : l’extrait de baptême.
3. Atmosphère lugubre et sinistre :
- Obscurité : « rue sombre ».
- Solitude : « partie déserte ».
- Mer déchaînée, tempête.
Le narrateur mêle au récit ses commentaires, il donne à sa naissance une signification
prophétique.
II. L’importance et la signification données par le narrateur à ce souvenir
1. Un souvenir obsessionnel :
« il n’y a pas de jour où… ».
2. Un souvenir douloureux :
Champ lexical de la tristesse ; un enfant presque mort-né ; des cris étouffés par la tempête.
3. Une naissance prédestinée au malheur :
Registre épique et tragique : une tempête envoyée par Dieu (« Le ciel sembla réunir … »)
pour désigner la venue au monde d’un être à part mais une destinée vouée au malheur.
Autre proposition d’organisation du commentaire :
- I. Le souvenir.
- II. La recomposition du souvenir.
- III. La recréation du souvenir.
D. Dissertation
Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé prenant appui sur les textes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.
La richesse du corpus de départ est telle qu'elle permettrait de traiter les divers aspects du
sujet. Toutefois des ouvertures, par les études menées en classe ou par les lectures
personnelles faites par les élèves, sont réclamées par le libellé. Les élèves auront à mentionner
certaines des lectures faites pendant l'année.
On peut proposer notamment la construction suivante.
Le souvenir est une composante essentielle du récit autobiographique. Néanmoins, celui-ci
ne se limite pas à l’acte de remémoration, il n’est pas non plus une simple compilation des
souvenirs. Quelle est la place et le fonctionnement du souvenir dans l’autobiographie ?
I. La place essentielle du souvenir
1. Retrouver les souvenirs :
l’effort de remémoration, la mémoire sensorielle : le chant de la grive de Montboissier chez
Chateaubriand ( cette thématique et cette démarche analytique seront reprises et amplifiées par
Proust dans A la Recherche du temps perdu, par exemple l’épisode de la Madeleine) ;
Sarraute et Perec dans le corpus proposé.
2. Choisir, trier les souvenirs :
Rousseau choisit de ne raconter qu’un des cinq souvenirs de Bossey, Perec nous les
présente de façon ordonnée.
II. Se souvenir ne suffit pas à caractériser le récit autobiographique.
1. Reconstituer les souvenirs :
le récit de naissance de Chateaubriand.
2. Le récit autobiographique est une interprétation des souvenirs :
il leur confère une place, un rôle dans la genèse de la personnalité ; par exemple l’épisode
du ruban volé chez Rousseau.
3. Le récit autobiographique est une confrontation,
un dialogue entre le moi passé et présent : L’Age d’homme de Leiris.
Le récit autobiographique est un discours narratif qui a aussi d’autres visées que la simple
résurrection du passé : il peut avoir une visée persuasive (Rousseau), épique et tragique
(Chateaubriand érige sa naissance en destin), cathartique (Perec veut exorciser un passé
douloureux).
On n'attendra pas des élèves le traitement précis de chacun des points ici traités. En terme
d'évaluation, l'essentiel réside dans la prise en compte de la remémoration et de ses
ambiguïtés.
E. Invention
Vous vous préparez à écrire votre autobiographie. Vous vous interrogez sur vos souvenirs d’enfance, sur les choix que vous ferez parmi eux,
sur les anecdotes que vous raconterez ou passerez sous silence.
Comme Nathalie Sarraute, vous dialoguez avec vous-même.
En cohérence avec la problématique du corpus, le sujet invite à réfléchir sur le travail du
biographique (sélection, interrogation, interprétation…) mais cette fois par le biais de
contraintes formelles inspirées d'un texte du corpus. Si les élèves "jouent le jeu" de la sincérité
autobiographique, on peut s'attendre à des confidences (récit d'expériences personnelles,
aveux familiaux…) dont le caractère douloureux ou excessivement intime ne manque pas de
plonger le correcteur dans l'embarras. Les exigences formelles et discursives formulées par le
libellé aident grandement, si tel est le cas, à discriminer ce qui est à évaluer.
Critères d’évaluation
- Le candidat doit écrire un dialogue ; on peut accepter de courts passages narratifs mais la
majeure partie du texte doit être au discours direct.
- Le texte rédigé doit opposer dans l’échange dialogué l’existence d’un « je » narrateur et celui
de son double, les deux argumentant sur les choix narratifs envisagés.
- Le dialogue inclut la référence à des souvenirs précis.
Seront valorisés les textes qui insèrent dans le dialogue des éléments relatifs aux
problématiques majeures de l’objet d’étude, par exemple :
- Pourquoi écrire son autobiographie ?
- Quelle place donner à l’enfance ?
- Peut-on être exact, sincère ? (le pacte autobiographique est-il un pacte de vérité ou de
sincérité ?)
- L’entreprise autobiographique obéit-elle à d’autres impératifs : justification de soi, réhabilitation
de ses actes, anamnèse, recomposition d’un passé définitivement effacé, démarche
thérapeutique, posture devant l’histoire ?
- La tonalité dominante est-elle élégiaque ou picaresque ?
- Comment fonctionne la mémoire ?
Il ne sera pas demandé aux élèves d’aborder la totalité des pistes évoquées.
Pour aller plus loin
Date de dernière mise à jour : 12/10/2018