Jacques Réda, la bicyclette, analyse
Jacques Réda, Retour au calme La bicyclette
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Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,
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Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,
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On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches
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Et se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,
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Avec des éclats palpitants au milieu du pavage
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Et des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.
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C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,
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Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bête
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En éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau.
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La rue est vide. Le jardin continue en silence
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De déverser à flots ce feu vert et doré qui danse
Pieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau. -
Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.
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On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.
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La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.
Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave, -
On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidon
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Éblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bond
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À travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,
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Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincelles
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Qui font à présent de ses roues deux astres en fusion
Commentaire
La première étape du parcours se fixe sur la manière dont la bicyclette, rencontrée au hasard d’une déambulation, retient le regard du passant. L’élève doit donc montrer comment le poète traduit par un flot d’images la métamorphose de cet objet technique et banal sous l’effet d’une lumière ardente de soleil couchant. Le texte déroule le récit de cette transfiguration progressive, mais la
communication de cette aventure sensorielle ne peut s’effectuer sans un ralentissement auquel invite un ensemble de ressources poétiques, objet de la seconde partie de l’étude attendue ici. Ce poème de Jacques Réda, extrait de son recueil Retour au calme, marque par le titre même du recueil la rupture nécessaire avec l’agitation quotidienne : un changement de rythme s’impose pour permettre l’observation attentive de la métamorphose opérée par la
lumière du soir sur le vélo. La sérénité dans laquelle s’installe l’observateur favorise l’acuité du regard et la mobilisation de toutes les
activités sensorielles. L’harmonie sonore qui baigne le poème cherche dès lors à traduire la plénitude de l’expérience sensible.
Eléments de corrigé I. Première partie de l’étude
1. Le cadrage du récit, la mise en place des circonstances, la création d’une temporalité :
- rôle du participe présent (vers 1), - repères temporels (“ à six heures ”, “ soudain ”, le verbe “ continue de ”, l’adverbe “ alors ”), - référence aux éléments extérieurs (la rue, au vers 10, le chien, au vers 13). Ces éléments conduisent à la perception de l’effet de la lumière. m m 2. Le rôle de la lumière, illustré par les multiples images qui en sont proposées : vers 3 à 6, vers 11, vers 20-21. 3. La métamorphose opérée : - la première présentation de l’objet par l’alexandrin parfait du vers 7, - la métaphore de l’oiseau, - la mise en évidence par le rejet et l’antithèse du vers 9, - le dernier quatrain (effets rythmiques, verbes
d’action, le motif de l’élévation, l’alchimie opérée par la lumière).
II. Deuxième partie de l’étude
1. La perception sensorielle accrue : l’attention portée au silence (vers 10), aux bruits (vers 13), aux détails concrets de l’environnement observé (“ vitres en losange ” au vers2, “ carreau ” au vers 12). n n l’évocation d’une rêverie intérieure par les verbes (“ on pense ”, “ on devine ”)… m 2. La présence du sujet observant, discrètement rappelée par le pronom “ on ” qui ponctue les étapes de la métaphore, mais sans qu’aucune subjectivité affirmée ne vienne s’intercaler entre le lecteur et la transfiguration opérée. m 3. La forme du poème en vers assonancés, la présence de quelques traits qui l’apparentent à une forme classique, comme la présence de quatrains au début et à la fin du texte. Ces caractéristiques formelles permettent d’installer une harmonie sonore.
Pour aller plus loin
Date de dernière mise à jour : 26/02/2021