La controverse de Valladolid, ch. 7 , Jean Claude Carrière, plan pour un commentaire
- Le 22/01/2018
- Dans Commentaires EAF, français
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Un dialogue argumentatif
- La controverse de Valladolid, Jean Claude Carrière, chapitre 7
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Texte :
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Après quoi il affirme avec la même fermeté :
- Oui, Eminence, les habitants du Nouveau Monde sont des esclaves par nature. En tout point conformes à la description d'Aristote.
- Cette affirmation demande des preuves, dit doucement le prélat.
Sépulvéda n'en disconvient pas. D'ailleurs, sachant cette question inévitable, il a préparé tout un dossier. Il en saisit le premier feuillet.
- D'abord, dit-il, les premiers qui ont été découverts se sont montrés incapables de toute initiative, de toute invention. En revanche, on les voyait habiles à copier les gestes et les attitudes des Espagnols, leurs supérieurs. Pour faire quelque chose, il leur suffisait de regarder un autre l'accomplir. Cette tendance à copier, qui s'accompagne d'ailleurs d'une réelle ingéniosité dans l'imitation, est le caractère même de l'âme esclave. Ame d'artisan, âme manuelle pour ainsi dire.
- Mais on nous chante une vieille chanson! s'écrie Las Casas. De tout temps les envahisseurs, pour se justifier de leur mainmise, ont déclaré les peuples conquis indolents, dépourvus, mais très capables d'imiter ! César racontait la même chose des Gaulois qu'il asservissait ! Ils montraient, disait-il, une étonnante habileté pour copier les techniques romaines ! Nous ne pouvons pas retenir ici cet argument ! César s'aveuglait volontairement sur la vie véritable des peuples de la Gaule, sur leurs coutumes, leurs langages, leurs croyances et même leurs outils ! Il ne voulait pas, et par conséquent ne pouvait pas voir tout ce que cette vie offrait d'original. Et nous faisons de même : nous ne voyons que ce qu'ils imitent de nous ! Le reste, nous l'effaçons, nous le détruisons à jamais, pour dire ensuite : ça n'a pas existé !
Le cardinal, qui n'a pas interrompu le dominicain, semble attentif à cette argumentation nouvelle, qui s'intéresse aux coutumes des peuples. Il fait remarquer qu'il s'agit là d'un terrain de discussion des plus délicats, où nous, risquons d'être constamment ensorcelés par l'habitude, prise depuis l'enfance, que nous avons de nos propres usages, lesquels nous semblent de ce fait très supérieurs aux usages des autres.
- Sauf quand il s'agit d'esclaves-nés, dit le philosophe. Car on voit bien que les Indiens ont voulu presque aussitôt acquérir nos armes et nos vêtements.
Certains d'entre eux, oui sans doute, répond le cardinal. Encore qu'il soit malaisé de distinguer, dans leurs motifs, ce qui relève d'une admiration sincère ou de la simple flagornerie. Quelles autres marques d'esclavage naturel avez-vous relevées chez eux ?
Sépulvéda prend une liasse de feuillets et commence une lecture faite à voix plate, comme un compte rendu précis, indiscutable :
- Ils ignorent l'usage du métal, des armes à feu et de la roue. Ils portent leurs fardeaux sur le dos, comme des bêtes, pendant de longs parcours. Leur nourriture est détestable, semblable à celle des animaux. Ils se peignent grossièrement le corps et adorent des idoles affreuses. Je ne reviens pas sur les sacrifices humains, qui sont la marque la plus haïssable, et la plus offensante à Dieu, de leur état.
Las Casas ne parle pas pour le moment. Il se contente de prendre quelques notes. Tout cela ne le surprend pas.
- J'ajoute qu'on les décrit stupides comme nos enfants ou nos idiots. Ils changent très fréquemment de femmes, ce qui est un signe très vrai de sauvagerie. Ils ignorent de toute évidence la noblesse et l'élévation du beau sacrement du mariage. Ils sont timides et lâches à la guerre. Ils ignorent aussi la nature de l'argent et n'ont aucune idée de la valeur respective des choses. Par exemple, ils échangeaient contre de l'or le verre cassé des barils.
- Eh bien ? s'écrie Las Casas. Parce qu'ils n'adorent pas l'or et l'argent au point de leur sacrifier corps et âme, est-ce une raison pour les traiter de bêtes ? N'est-ce pas plutôt le contraire ?
- Vous déviez ma pensée, répond le philosophe.
- Et pourquoi jugez-vous leur nourriture détestable ? Y avez-vous goûté ? N'est-ce pas plutôt à eux de dire ce qui leur semble bon ou moins bon ? Parce qu'une nourriture est différente de la nôtre, doit-on la trouver répugnante ?
- Ils mangent des oeufs de fourmi, des tripes d'oiseau...
- Nous mangeons des tripes de porc! Et des escargots !
- Ils se sont jetés sur le vin, dit Sépulvéda, au point, dans bien des cas, d'y laisser leur peu de raison.
- Et nous avons tout fait pour les y encourager ! Mais ne vous a-t-on pas appris, d'un autre côté, qu'ils cultivent des fruits et des légumes qui jusqu'ici nous étaient inconnus ? Et que certains de leurs tubercules sont délicieux ? Vous dites qu'ijs portent leurs fardeaux sur le dos : Ignorez-vous que la nature ne leur a donné aucun animal qui pût le faire à leur place ? Quant à se peindre grossièrement le corps, qu'en savez-vous ? Que signifie le mot "grossier" ?
- Frère Bartolomé, dit le légat, vous aurez de nouveau la parole, aussi longtemps que vous voudrez. Rien ne sera laissé dans l'ombre, je vous l'assure. Mais pour le moment, restez silencieux.
Le dominicain, qui paraît fatigué, se rassied. Le cardinal s'adresse au philosophe :
- Selon vous, la possession et l'usage des armes à feu seraient une preuve de la protection divine ?
- Une preuve très évidente.
- Cependant, les Maures possèdent des armes à feu et s'en servent très bien contre nous.
- Ils les ont copiées sur les nôtres.
Le légat semble mettre en doute cette dernière affirmation. Il essaie de se souvenir. N'a-t-il pas lu quelque part que l'usage de la poudre à canon venait des pays de l'Orient ?
Dans l'assistance, personne ne peut répondre avec précision et certitude. On préfère penser, et c'est à vrai dire plus confortable, que l'arme à feu est une invention chrétienne, comme la plupart des autres.
Et si d'aventure, comme le suggère le comte Pittaluga, l'intervention divine ne s'est pas clairement montrée dans l'invention elle-même (qui s'étala sur des siècles, à ce qu'on raconte), à coup sûr elle se manifesta en privant les Indiens, jusqu'à leur conquête, de ce type d'armes. Ainsi la pauvreté de leur équipement militaire montre non seulement l'archaïsme de leur technique, mais que Dieu les priva de toute vraie défense.
Le légat, mettant à part cette question, revient à Sépulvéda :
- Autre chose : vous rapportez les sacrifices sanglants qu'ils faisaient à leurs dieux.
- Des dieux cruels, horribles, à l'image même de ce peuple.
- Oui, oui, il s'agit bien d'une horreur démoniaque. Nous sommes tous d'accord. Mais s'ils ne sont pas des êtres humains du même niveau que le nôtre, s'ils sont proches des animaux, peut-on leur reprocher ces sacrifices ? Vous voyez ce que je veux dire ? -
Problématique :En quoi ce texte est il argumentatif?
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