Dissertation intégralement rédigée, citation de Beaumarchais, la comédie ou la tragédie dépend moins des choses que des caractères........
- Le 20/02/2017
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"Voilà le fond dont on eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie [...], un opéra, etc. [...] Le genre [au sens de registre] d'une pièce, comme celui de toute action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre." (Beaumarchais). En vous appuyant sur L'école des femmes (Molière), étudiée en cours, ainsi que sur le groupement de textes n°3 consacré au théâtre, vous commenterez et apprécierez [on peut apprécier de manière méliorative ou péjorative] cette affirmation.
1er devoir : Cécilia F.
La comédie (principalement avec Aristophane et Plaute) et la tragédie furent célébrées de tous les temps, notamment en Grèce où le théâtre est apparu avec les cortèges de Dionysos. Afin de les définir et les différencier, Beaumarchais a déclaré que "le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre." En effet, le registre attribué à une pièce théâtrale, ou une autre oeuvre littéraire, serait définie par des procédés choisis par l'auteur plutôt que l'intrigue et la morale qui sous-tendent l'oeuvre. On peut ainsi se demander si le registre conféré à une oeuvre repose sur sa forme et les caractéristiques utilisées par l'auteur, ou si, en réalité, le registre qui qualifierait une oeuvre avec plus d'exactitude repose sur son fond.
Dans un premier temps, il est possible d'affirmer que le genre d'une pièce dépend des procédés littéraires utilisés. Tout d'abord interviennent les personnages et leur rôle dans la pièce concernée. Dans les comédies de Molière notamment, les défauts humains sont poussés à leur paroxysme et les personnages sont si caricaturaux que le nom de chacun devient, par antonomase, un nom commun (un tartuffe, un dom juan). Lec lecteurs ont affaire à des pédants affectés (comme l'illustrent Les Femmes Savantes, Les Précieuses Ridicules), des faux dévots (comme dans Le Tartuffe), des hypocondriaques (tel que Le malade Imaginaire). De même, Arnolphe dans L'école des Femmes est semblable à Sganarelle, dans Le Cocu imaginaire, et sont tous les deux obsédés par le cocuage. De plus, l'onomastique de Trissotin dans Les Femmes Savantes, qui signifie "triple sot", présente une dimension ironique destinée à provoquer le rire. A l'inverse, les personnages de tragédies sont nobles, à haute élévation morale, comme l'illustre Bérénice de Racine, pièce dans laquelle Titus est empereur romain et Bérénice est reine de Palestine. Leurs positions hiérarchiques, ainsi que leur retenue face aux évenements et au destin qu'il subissent, sont contraires à l'exagération des caractères des personnages comiques, ce qui montre que les personnages, c'est-à-dire l'essence même d'une pièce, permettent de classer celle-ci dans le registre comique ou tragique.
En outre, les dramaturges ont recours à d'autres procédés stylistiques, notamment aux registres, qui définissent leur oeuvre. Il suffit de voir les comédies qui héritent de la farce médiévale, comme Les Fourberies de Scapin, où le valet éponyme roue Géronte de coups après qu'il l'eut enfermé dans un sac. D'autres procédés comiques, tels que les quiproquos, se retrouvent dans la plupart des pièces de Molière, comme en témoigne L'Ecole des Femmes lorsqu'Arnolphe croit que Horace a pris la virginité d'Agnès alors qu'il lui a seulement pris son ruban, sans compter aussi la double identité d'Arnolphe (ou Monsieur de la Souche) qui crée d'emblée un quiproquo suffisamment bien ficelé pour qu'il se poursuive jusqu'au dénouement. Le comique de langage, comme le montre la célèbre tirade du nez dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, se décline également en comique de répétition, qu'on retrouve dans L'Avare, dans un dialogue entre Valère et Harpagon qui répète sans cesse "Sans dot" et qui montre son obsession maladive pour l'argent. Quant aux tragédies, en revanche, elles prônent le registre pathétique et tragique et ont recours au phénomène de catharsis qui purge les spectateurs de leurs émotions. On le voit dans Bérénice, notamment dans le chiasme de Bérénice : "sans que jamais Titus puisse voir Bérénice / sans que de tout le jour je puisse voir Titus". On assiste également au registre pathétique dans Andromaque, de Racine, où Andromaque est déchirée entre vivre et perdre sa dignité. En revanche, dans L'Ecole des Femmes, les paroles d'Arnolphe mêlent les deux registres dans certaines scènes lorsqu'il exprime son désarroi : "veux-tu que je me tue ? Oui, dis-le si tu le veux." (V, 4), faisant balancer la pièce entre comédie et tragédie par le biais des registres et donc des procédés littéraires.
Cependant, est-il possible de décréter que le registre comique ou tragique d'une pièce repose non pas sur les procédés mis en oeuvre, mais en réalité sur le fond de la pièce ? Les auteurs utilisent, d'une part, l'intrigue de leur oeuvre et nouent des situations et rebondissements qui permettent de définir leur oeuvre. Dans les comédies de Molière, la situation initiale de la pièce correspond à un jeune couple d'amoureux qui désirent se marier, mais dont le souhait se heurte au caractère caricatural d'un autre personnage, en général un parent. Cela se retrouve dans L'Avare (où l'idylle de Valère et Elise et celle entre Cléante et Mariane sont confrontées à l'avarice d'Harpagon) et dans Les Femmes Savantes, où le mariage prévu entre Henriette et Clitandre a pour obstacle Philaminte, qui a trouvé un époux ridicule pour Henriette). Le dénouement des comédies est généralement heureux pour les personnages, truffé de réconciliations ou de mariages, comme dans L'Ecole des Femmes où Agnès et Horace ont finalement la possibilité de se marier car la femme qu'Enrique destinait à Horace n'est autre qu'Agnès. En outre, un être réel ou spirituel, nommé Deus Ex Machina, intervient souvent pour arranger la situation et, à lui seul, incarne la solution qui permet le dénouement de la pièce. Les tragédies, au contraire, présentent une fin bien souvent malheureuse, qui correspond au destin inéluctable ("fatum") auquel le héros faisait face dès le premier acte. On peut voir dans Bérénice que les héros, surtout Titus, prennent conscience de l'impossibilité pour Titus d'épouser une princesse étrangère. L'intrigue principale est en général un déchirement moral entre deux forces contraires, comme le devoir et la passion. Il suffit de le voir dans Le Cid de Corneille, où Don Diègue ordonne à son fils de se venger du père de la femme dont il est amoureux : "Va, cours, vole et nous venge". Cela montre bien que la différence entre une comédie et une tragédie repose sur l'intrigue, et ainsi sur le fond de la pièce.
Celle-ci dépend aussi de la morale et du rôle de l'oeuvre. Les comédies de Molière mentionnent des sujets de société importants : l'éducation des femmes (L'Ecole des Femmes, Les Précieuses Ridicules . . .), les mariages forcés, la position sociale (Le Bourgeois Gentilhomme) et les défauts humains en général, qui sont par ailleurs tous condamnés dans Le Misanthrope. Par ailleurs, dans la préface du Tartuffe, Molière déclare que "si l'emploi de la comédie est de corriger les vices, je ne vois pas pour quelle raison il y en aura de privilégiés". Les tragédies, quant à elles, parce que les personnages sont nobles et que l'identification aux personnages est bien moins facile, font réfléchir sur les dilemnes de la vie et le pouvoir de l'Etat ; par l'intermédiaire de la morale du fond de l'oeuvre, on peut donc différencier comédie et tragédie.
En conclusion, l'opinion de Beaumarchais selon laquelle le genre d'une pièce dépend des procédés et non pas de l'intrigue est en majorité juste, bien qu'on puisse émettre des réserves et accorder de l'importance au fond d'une pièce afin de séparer comédie et tragédie. Néanmoins, certains auteurs comme Ionesco avec La Cantatrice Chauve mêleront les deux registres, et d'autres auteurs utiliseront le registre comique dans un autre genre littéraire que le théâtre, comme Les Caractères de la Bruyère.
Cécilia F., 2nde section internationale, lycée international de Valbonne Sophia-Antipolis, mai 2007 (note de cette dissertation : 19/20).
2ème devoir : Morgane B. 18/20
Depuis l’antiquité avec le théâtre des masques, la tragédie et la comédie existent pour émouvoir le public (tragédie) ou le faire rire (comédie). Mais Beaumarchais trouve qu’avec un bon fond, « un égal succès [attend] une tragédie, une comédie, un opéra, etc… », et que « le genre d’une pièce […] dépend moins du fond des choses que des caractères qui la mettent en œuvre ». Il pense donc que ce n’est pas le genre en lui-même qui est important, mais l’histoire et surtout les personnages qui la composent, avec leurs différents caractères, et l’auteur en lui-même. Il est aussi d’avis qu’un même succès attend une représentation, si son intrigue est bonne. Maintenant, avec les années et même les siècles de recul par rapport à cette citation, et grâce aux œuvres étudiées, on essayera de voir, si, en effet, avec un bon fond on peut décliner une pièce en comédie ou en tragédie avec le même succès, ou si, au contraire, une intrigue fondée sur des sujets sérieux ne fera pas rire, tout comme le ridicule n’émouvra pas.
Tout d’abord, si le fond est bon, il peut se décliner en tragédie ou en comédie selon les intentions de l’auteur et celles qu’il donne à ces personnages. En effet, dans les comédies apparaissent souvent des personnages aux mauvaises intentions, comme Tartuffe le faux dévot dans la pièce éponyme et monsieur Trissotin le pédant des Femmes Savantes, qui veulent duper les plus faibles et naïfs (Orgon dans Le Tartuffe et Philaminte dans Les Femmes Savantes), qui de plus se croient maîtres incontestés de leur foyer respectif. Si ces personnages hypocrites n’étaient pas démasqués et punis à la fin, l’histoire au début comique deviendrait tragique. Si dans Le Tartuffe le roi n’avait pas pardonné à Oronte, Tartuffe aurait hérité de tous ses biens, et peut-être même d’Elmire, sa femme qu’il convoitait tant. De même si dans Les Femmes Savantes Ariste n’avait pas inventé la ruine de la famille, monsieur Trissotin aurait épousé Henriette et se serait sûrement enfuie avec toute la fortune de la famille, ou tout du moins de la dot de la cadette. Toutes les fins qui auraient pu avoir lieu mettent bien en évidence que sans certains personnages à l’extrême bonté (le roi) ou intelligence (Ariste), ce qui semblait être une comédie par les caractères ridicules et stéréotypés (suivante insolente et plus intelligente que ses maîtres, faux dévot sensuel, pédant…) de certains personnages peut se transformer en tragédie selon l’envie de l’auteur.
De même, il aurait pu arriver que certaines situations (comiques à la base ou non) tournent au tragique. Effectivement, que serait-il arrivé si Scapin dans Les Fourberies de Scapin à force de coups de bâtons avait tué son maître ? Tout comme si Agnès, en jetant la pierre à Horace l’avait tué, sa mort aurait empêché tout dénouement heureux dans L’Ecole des Femmes. Si ces situations avaient eu lieu, ce qui semblait être une comédie serait devenu une tragédie, et comme le fond est bon, puisqu’il peut se décliner, la pièce aurait reçu un même succès.
Enfin, parfois jusque dans la dernière scène ou une bonne partie de l’acte V, tout laisse présager une fin tragique, qui grâce à l’apparition d’un deus ex machina n’aura pas lieu. L’exemple parfait est la tragi-comédie de Corneille, Le Cid, où les personnages, par leur haute élévation morale, leur noblesse et attachement à l’Etat sont typiques de la tragédie, mais le mariage et la fin heureuse qui a lieu grâce au tournoi fait directement référence à la comédie. De même, dans L’Ecole des Femmes de Molière, on apprend d’Alain et Georgette qu’Agnès veut se jeter par la fenêtre, ce qui sans le retour de son père biologique (Enrique) aurait sûrement eu lieu. Grâce à des deus ex machina, Corneille arrive à « transformer » une tragédie, en la conciliant avec une comédie, et Molière à faire en sorte que sa pièce reste une comédie. Grâce à leur fond et à leurs personnages, les pièces ont connu un grand succès, et ici la notion de genres en est presque oubliée tant le mélange est savoureux.
Si avec un bon fond on peut décliner une comédie en tragédie et vice-versa, pourquoi y a-t-il encore des genres bien définis, et des règles, comme l’élévation morale, le devoir à l’état, la noblesse, le dilemme pour les personnages de tragédie ? Pourquoi les personnages sont-ils bourgeois ou paysans dans les comédies, où la thématique est plus légère, et les valets parfois plus malins que leur maître (confer Dorine (Le Tartuffe) et Scapin) ? Ne serait ce pas simplement les auteurs qui ont voulu enrichir leurs pièces d’un petit peu du genre opposé pour être original, mais en gardant un genre principal? En effet, la tragédie et la comédie ont des rôles bien définis : la tragédie est là pour émouvoir et permettre au public de se purger de ses émotions grâce à la catharsis. La comédie a, quant à elle, un rôle plus divertissant, mais peut aussi éduquer, comme l’a dit Horace avec son célèbre « Castigat ridendo mores » (elle corrige les mœurs par le rire). Si Agnès mourrait, non seulement un dénouement serait impossible, et cela signifierait la défaite de l’amour, ce sentiment que Molière a toujours défendu, et qui par sa défaite n’aurait aucune valeur morale. De plus, où serait la morale, si des personnages comme Tartuffe ou monsieur Trissotin obtenaient ce qu’ils voulaient à la fin? Les mauvais doivent être punis, c’et ce qu’il faut apprendre au « peuple», l’auteur n’a donc aucun intérêt à « transformer » sa comédie en tragédie pour faire triompher ces personnages immoraux.
Ensuite, toujours dans le cadre de l’éducation à travers le théâtre, il faut apprendre aux gens à dissocier ce qui est drôle de ce qui ne l’est pas. Qui aurait l’idée de rire de la mort de Roméo et Juliette dans la pièce éponyme, ou du destin de Titus et Bérénice dans Bérénice de Racine ? Qui aurait envie de pleurer en voyant Tartuffe emprisonné ou Arnolphe abandonné ? Personne, car il existe une différence bien visible entre tragédie et comédie, qui, si elle n’existait pas, ne nous permettrait pas de faire la part des choses. On ne peut donc pas faire d’une histoire comique une tragédie entre deux amants ou émouvoir en montrant que les mauvais sont joués. La comédie reste comédie et la tragédie, une tragédie.
Enfin, même si quelques personnages ont des caractères tragiques dans une comédie, ce n’est pas ce qui changera l’issue de la pièce, si elle doit être une comédie. En effet, Arnolphe de L’Ecole des Femmes, personnage de comédie semble plus avoir un caractère ou destin tragique : haït ou craint de tous, il reste fidèle à son idée de mariage tout au long de la pièce (confer héros tragique) et finit seul et abandonné, ce qui peut correspondre à une mort symbolique. Pourtant il n’émeut pas le public qui, lui aussi, se rie de lui, ce n’est donc pas de son caractère que dépend l’issue de la pièce, et donc son registre.
Pour conclure, on peut dire que tout fond ne peut s’adapter à tout type de pièce, car il faut faire la part des choses, mais le mélange de ce qui est différent n’est pas impossible et est même bénéfique. La tragédie dans la comédie et vice- versa est un atout indéniable pour la pièce, mais faire une tragédie à partir d’une histoire comique ou le contraire paraît une fantaisie dangereuse, le mélange de ce qui est différent est une richesse, tant que ce n’est pas l’existence de l’un au dépend de l’autre, ce doit être sur un pied d’égalité. En effet, qui y a-t-il de plus différents qu’un homme et une femme, mais qui y a-t-il de plus beau que leur union ?
Morgane B., 2nde section internationale, lycée international de Valbonne Sophia-Antipolis, mai 2007 (note de cette dissertation : 18/20).
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