•Réécriture autour de la figure de Don Juan : Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla
- Le 13/02/2017
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Réécriture autour de la figure de Don Juan
OBJET D’ÉTUDE : LES RÉÉCRITURES DU XVIIe À NOS JOURS
Réécriture autour de la figure de Don Juan
LC : Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla
(UNE RUE AVEC L’ÉGLISE OU LE COMMANDEUR EST ENSEVELI)
Don Juan et Catalinon entrent en scène.
CATALINON Comment le roi t'a-t-il reçu ?
DON JUAN Avec plus d'amour que mon père.
CATALINON As-tu vu Isabela ?
DON JUAN Aussi.
CATALINON Comment est-elle ?
DON JUAN Elle ressemble à un ange.
CATALINON T'a-t-elle bien reçu ?
DON JUAN Le visage de nacre et de carmin, comme la rose qui à l'aube réveille la tige fragile.
CATALINON Enfin. Les noces sont pour ce soir ?
DON JUAN Sans faute.
CATALINON Tu n’aurais pas trompé autant de femmes, mon Maître, si tu avais eu affaire à de vieilles viandes froides. Mais tu prends femme, mon Maître, avec un lourd passé.
DON JUAN Dis, commencerais-tu à faire l'idiot ?
CATALINON Il vaudrait mieux te marier demain car aujourd'hui est un mauvais jour.
DON JUAN Quel jour sommes-nous donc ?
CATALINON Mardi.
DON JUAN Seuls les menteurs et les fous croient en ces superstitions. Moi, je qualifie de mauvais et funeste le jour où ma bourse est plate. Le reste n’est que plaisanterie.
CATALINON Allons, si tu dois t’habiller, on t’attend, et il est déjà tard.
DON JUAN Nous avons une autre affaire à régler, même si on doit nous attendre.
CATALINON Laquelle ?
DON JUAN Souper avec le mort.
CATALINON Sottise des sottises.
DON JUAN Ne sais-tu pas que je lui ai donné ma parole ?
CATALINON Et si tu ne la tiens pas qu’importe ? Une statue de jaspe doit-elle demander qu’on tienne une parole ?
DON JUAN Le mort pourra clamer mon infamie.
CATALINON L'église est maintenant fermée.
DON JUAN Frappe.
CATALINON Hé ! à quoi bon frapper ? Qui peut ouvrir, si les sacristains sont en train de dormir ?
DON JUAN Frappe à cette petite porte.
CATALINON Elle est ouverte.
DON JUAN Alors, entre.
CATALINON Qu’entre d’abord un moine, avec son goupillon et son étole.
DON JUAN Suis-moi et tais-toi.
CATALINON Que je me taise ?
DON JUAN Oui.
CATALINON Que Dieu me tire en paix de semblables soupers ! (Ils entrent dans l’église.) Que cette église est sombre, mon Maître, alors qu'elle est si grande !... Ha !... Retiensmoi, mon Maître ! On m'a saisi par le manteau !
Entre Don Gonzalo sous la forme de statue qu'il avait précédemment,et va à leur rencontre.
DON JUAN Qui va là ?
DON GONZALO C'est moi.
CATALINON Je suis mort !
DON GONZALO C'est moi qui suis le mort, sois tranquille. Je ne pensais pas que tu tiendrais parole, puisque tu te moques de tous.
DON JUAN Me prendstu pour un lâche ?
DON GONZALO Oui, car tu as pris la fuite, la nuit où tu m’as tué.
DON JUAN J’ai fui pour ne pas être reconnu. Tu m’as devant toi maintenant : dis vite ce que tu attends de moi.
DON GONZALO Je veux t’inviter à souper.
CATALINON Merci pour le souper que l'on nous offre ici ! Il doit se composer de viandes refroidies, car je ne vois pas de cuisine.
DON JUAN Soupons.
DON GONZALO Pour souper il te faut soulever cette dalle.
DON JUAN Et s'il t'importe, je soulèverai aussi ces piliers.
DON GONZALO Tu es courageux.
DON JUAN (soulevant par un bout la dalle du tombeau, qui laisse à découvert une table dressée de noir). Oui, j'ai de la vaillance et du cœur au ventre.
CATALINON Table de Guinée que voilà ! Eh ! n’y a-t-il personne ici qui lave ?
DON GONZALO Assieds-toi.
DON JUAN Où ?
CATALINON. Voici deux pages noirs qui apportent des chaises. (Deux figures en deuil entrent avec deux sièges.) Porte-t-on aussi chez vous des vêtements de deuil et de la toile de Flandre ?
DON GONZALO Assieds-toi.
CATALINON Moi, Monsieur ? J'ai goûté cet après-midi.
DON GONZALO Ne réplique pas.
CATALINON Je ne réplique pas. Que Dieu me tire en paix de toute cette affaire ! Quel est ce plat, Monsieur ?
DON GONZALO C’est un plat de scorpions et de vipères.
CATALINON Charmant plat !
DON GONZALO Tels sont nos aliments. Toi, ne manges-tu pas ?
DON JUAN Je mangerai, même si tu dois me donner un aspic, et tous les aspics de l’enfer.
DON GONZALO Je veux également que l’on chante pour toi.
CATALINON Quel vin boit-on ici ?
DON GONZALO Goûte-le.
CATALINON Fiel et vinaigre que ce vin-là !
DON GONZALO Tel est le vin qui coule de nos pressoirs.
(On chante.)
Que la vengeance de Dieu se mette en place, il n’est de délai qui ne vienne à son terme, ni de dette qui reste impayée.
CATALINON Par le Christ ! que ça va mal ! J'ai compris ce refrain qui parle de nous.
DON JUAN Mon cœur se glace tant qu’il en brûle.
(On chante.)
Il n’est pas juste de dire : Bien lointaine est votre échéance ! lorsqu’on est bien vivant, alors qu'il est si bref le temps du repentir.
CATALINON Qu’y a-t-il dans ce petit ragoût ?
DON GONZALO Des griffes.
CATALINON Il doit se composer de griffes de tailleur, si c'est un ragoût d'ongles.
DON JUAN J’ai fini de souper. Dis leur de desservir.
DON GONZALO Donne-moi cette main n'aie pas peur, donne-moi donc la main.
DON JUAN Que dis-tu ? Moi ! Peur ?... Ah ! je brûle !... Ne m'embrase pas de ton feu !
DON GONZALO Celui-là est peu pour le feu que tu as cherché. Les desseins de Dieu, Don Juan, sont impénétrables, et il veut que tu payes tes fautes par les mains d'un mort ; Si tu les payes ainsi, telle est la justice de Dieu: “Œil pour œil, dent pour dent.”
DON JUAN Ah ! je brûle ! Ne me serre pas si fort ! Je te tuerai avec ma dague... Mais... Ah !... Je m'épuise en vain à frapper dans le vide. Je n'ai pas dupé ta fille... Elle avait démasqué ma ruse avant que je...
DON GONZALO Il n'importe, car telle était ton intention.
DON JUAN Laisse-moi appeler quelqu'un qui me confesse et qui m’absolve.
DON GONZALO Il n'est plus temps, tu te repens trop tard.
DON JUAN Ah ! je brûle ! Mon corps est embrasé ! Je meurs.
(Il tombe mort.)
CATALINON Il n’y a personne qui puisse s'échapper : ici je dois mourir, moi aussi, pour t’accompagner.
DON GONZALO Telle est la justice de Dieu : “Œil pour œil, dent pour dent.”
(Le sépulcre s'enfonce avec fracas, engloutissant Don Juan et Don Gonzalo, tandis que Catalinon se sauve en se traînant.)
CATALINON Dieu me protège ! Que se passe-t-il ? Toute la chapelle est en flammes. Je suis resté avec le mort, pour le veiller et le garder. Me traînant comme je peux, je vais prévenir son père... Saint Georges ! Saint Agnus Dei.!... Sortez-moi en paix jusqu’à la rue !
(Il s'en va.)
(GRANDE SALLE À L'ALCAZAR.)
Entrent le roi, Don Diego et l'escorte.
DON DIEGO Sire, le marquis attend de pouvoir baiser vos pieds royaux.
LE ROI Qu’il entre tout de suite, et prévenez le comte, pour qu’il n'attende pas.
Entrent Batricio et Gaseno.
BATRICIO Depuis quand, sire, les gens de ta maison se permettent-ils de telles libertés qu’ils humilient les hommes misérables ?
LE ROI Que dis-tu ?
BATRICIO Don Juan Tenorio, perfide et détestable a enlevé ma femme la nuit de mon mariage, avant qu’il ne soit consommé. J'ai ici des témoins.
Entrent Tisbea et Isabela, avec leur suite.
TISBEA Si votre Altesse ne fait pas, sire, justice de Don Juan Tenorio, je me plaindrai toute ma vie devant Dieu et devant les hommes. La mer l’a rejeté défait sur le rivage, je lui ai redonné la vie, l’ai accueilli chez moi, mais il a payé ma tendre amitié par des mensonges et des tromperies.
LE ROI Que dis-tu ?
ISABELA Elle dit la vérité.
Entrent Aminta et le duc Octavio.
AMINTA Où est mon mari ?
LE ROI Qui est-ce ?
AMINTA Comment, vous ne le savez pas ? Je viens épouser le seigneur Don Juan Tenorio qui me doit l’honneur, car il est noble et ne doit pas me renier. Ordonne qu'on nous marie.
Entre le marquis de la Mota.
MOTA Puisqu'il est temps, grand roi, que les vérités sortent à la lumière, tu sauras que le crime que tu m'as imputé, a été commis par Don Juan Tenorio, car ce cruel, en tant qu’ami, a pu me tromper. J'ai deux témoins pour l’attester.
LE ROI Peut-on être à ce point sans vergogne ? Qu'on l'arrête et qu'on l’exécute aussitôt !
DON DIEGUE Pour prix de mes services, ordonne qu'on l’arrête et qu'il paye ses crimes, afin que le feu du Ciel ne tombe pas sur moi, qui suis le père d’un si mauvais fils.
LE ROI Voilà donc ce que font mes favoris !
Entre Catalinon.
CATALINON Seigneurs, écoutez le récit du fait le plus notable qui soit arrivé en ce monde, et aussitôt après, tuez-moi. Don Juan se moquant du Commandeur, après lui avoir ravi ses deux trésors, un soir, en tirant la barbe à sa forme de pierre afin de l'outrager, l’a invité à souper : plût au Ciel qu’il ne l’eut jamais fait ! La forme s’y est rendu et l’a invité à son tour et maintenant — pour ne point vous lasser—achevant de souper entre mille présages, la forme a pris sa main et la lui a serrée jusqu’à lui ôter la vie, en lui disant: “Le Seigneur me commande qu’ainsi je te tue, pour châtier tes crimes. « Œil pour œil, dent pour dent.”
LE ROI Que dis-tu ?
CATALINON Rien que la vérité. Juste avant de mourir, mon maître a dit qu’il n'avait point souillé l'honneur de Doña Anna, qu'on l’avait entendu avant qu'il ne puisse l’abuser.
MOTA Pour cette bonne nouvelle, je souhaite te donner mille récompenses.
LE ROI Juste vengeance du Ciel ! Et maintenant il est bien que tout le monde se marie, puisque celui qui fut la cause de tant de désastres est mort à présent.
OCTAVE Puisque Isabela est veuve, je veux me marier avec elle.
MOTA Et moi, avec ma cousine.
BATRICIO Et pour nous à chacun, sa chacune, et que prenne fin ainsi « l’Invité de pierre ».
LE ROI Et qu'on transporte le sépulcre à Saint-François de Madrid, afin que tous se souviennent.