Camus, Caligula, II, 10. Commentaire littéraire pour l'oral de l'EAF

DNBAC

 

 

 

Caligula de Camus
 l'acte II scène 10. 




CHEREA 
À tes ordres, Caïus. Qu'est-ce qui ne va pas ? Le personnel est-il mauvais ? 
CALIGULA 
Non, mais les recettes ne sont pas bonnes. 
MEREIA 
Il faut augmenter les tarifs. 

CALIGULA 
Mereia, tu viens de perdre une occasion de te taire. Étant 
donné ton âge, ces questions ne t'intéressent pas et je ne te 
demande pas ton avis. 
MEREIA 
Alors, pourquoi m'as-tu fait rester ? 
CALIGULA 
Parce que, tout à l'heure, j'aurai besoin d'un avis sans 
passion. 
Mereia s'écarte. 
CHEREA 
Si je puis, Caïus, en parler avec passion, je dirai qu'il ne 
faut pas toucher aux tarifs. Albert Camus, CALIGULA. Pièce en quatre actes (1944) 91 
CALIGULA 
Naturellement, voyons. Mais il faut nous rattraper sur le 
chiffre d'affaires. Et j'ai déjà expliqué mon plan à Caesonia 
qui va vous l'exposer. Moi, j'ai trop bu de vin et je commence à avoir soin 
Il s'étend et ferme les yeux. 
CAESONIA 
C'est fort simple. Caligula crée une nouvelle décoration. 
CHEREA 
Je ne vois pas le rapport. 
CAESOINIA 
Il y est, pourtant. Cette distinction constituera 
l'ordre du Héros civique. Elle récompensera ceux des citoyens qui auront le plus fréquenté la maison publique de Caligula. 
CHEREA 
C'est lumineux. 

CAESONIA 
Je le crois. J'oubliais de dire que la récompense est dé- 
cernée chaque mois, après vérification des bons d'entrée ; 
le citoyen qui n'a pas obtenu de décoration au bout de douze 
mois est exilé ou exécuté. 
TROISIÈME PATRICIEN 
Pourquoi « ou exécuté » ? 
CAESONIA 
Parce que Caligula dit que cela n'a aucune importance. 
L'essentiel est qu'il puisse choisir. 
CHEREA 
Bravo. Le Trésor publie est aujourd'hui renfloué. 
HÉLICON 
Et toujours de façon très morale, remarquez-le bien. Il 
vaut mieux, après tout, taxer le vice que rançonner la vertu 
comme on le fait dans les sociétés républicaines. 

Caligula ouvre les yeux à demi et regarde le 
vieux Mereia qui, à l'écart, sort un petit flacon et 
en boit une gorgée. 
CALIGULA, toujours couché. 
Que bois-tu, Mereia ? 
[153] 
MEREIA 
C'est pour mon asthme, Caïus. 
CALIGULA, allant vers lui en écartant 
les autres et lui flairant la bouche. 
Non, c'est un contrepoison. 
MEREIA 
Mais non, Caïus. Tu veux rire. J'étouffe dans la nuit et je 
me soigne depuis fort longtemps déjà. 
CALIGULA 
Ainsi, tu as peur d'être empoisonné ? 

MEREIA 
Mon asthme... 
CALIGULA 
Non. Appelons les choses par leur nom : tu crains que je 
ne t'empoisonne. Tu me soupçonnes. Tu m'épies. 
MEREIA 
Mais non, par tous les dieux ! 
CALIGULA 
Tu me suspectes. En quelque sorte, tu te défies de moi. 
MEREIA 
Caïus 
CALIGULA, rudement. 
Réponds-moi. (Mathématique.) Si tu prends un contrepoison, tu me prêtes par conséquent l'intention de t'empoisonner. 

[154] 
MEREIA 
Oui.... je veux dire... non. 
CALIGULA 
Et dès l'instant où tu crois que j'ai pris la décision de 
t'empoisonner, tu fais ce qu'il faut pour t'opposer à cette 
volonté. 
Silence. Dès le début de la scène, Caesonia et 
Cherea ont gagné le fond. Seul, Lepidus suit le 
dialogue d'un air angoissé. De plus en plus précis. 
Cela fait deux crimes, et une alternative dont tu ne sortiras pas : ou bien je ne voulais pas te faire mourir et tu me 
suspectes injustement, moi, ton empereur. Ou bien je le voulais, et toi, insecte, tu t'opposes à mes projets. (Un temps. 
Caligula contemple le vieillard avec satisfaction.) Hein, Mereia, que dis-tu de cette logique ? 
MEREIA 
Elle est..., elle est rigoureuse, Caïus. Mais elle ne s'applique pas au cas. 

CALIGULA 
Et, troisième crime, tu me prends pour un imbécile. Écoute-moi bien. De ces trois crimes, un seul est honorable pour 
toi, le second - parce que dès l'instant où tu me prêtes une 
décision et la contrecarres, cela implique une révolte chez 
toi. Tu es un meneur d'hommes, un révolutionnaire. Cela est 
bien. (Tristement.) Je t'aime beaucoup, Mereia. C'est pourquoi tu seras condamné pour ton [155] second crime et non 
pour les autres. Tu vas mourir virilement, pour t'être révolté. 
Pendant tout ce discours, Mereia se rapetisse 
peu à peu sur son siège. 
Ne me remercie pas. C'est tout naturel. Tiens. (Il lui tend 
une fiole et aimablement.) Bois ce poison. 
Mereia, secoué de sanglots, refuse de la tête. 
S'impatientant. 
Allons, allons. 
Mereia tente alors de s'enfuir. Mais Caligula, 
d'un bond sauvage, l'atteint au milieu de la scène, 
le jette sur un siège bas et, après une lutte de 
quelques instants, lui enfonce la fiole entre les 
dents et la brise à coups de poing. Après quelques 
soubresauts, le visage plein d'eau et de sang, Mereia meurt. 
Caligula se relève et s'essuie machinalement 
les mains. 
A Caesonia, lui donnant un fragment de la fiole 
de Mereia. 
Qu'est-ce que c'est ? Un contrepoison ? 
CAESONIA, avec calme. 
Non, Caligula. C'est un remède contre l'asthme. 
CALIGULA, regardant Mereia, après un silence. 
Cela ne fait rien. Cela revient au même. Un peu plus tôt, 
un peu plus tard... 
Il sort brusquement, d'un air affairé, en s'essuyant toujours les mains. 

DNBAC

 commentaire. 

I Une dimension provocatrice 
simulacre du conseil " augmenter les tarifs " -> mais d'une maison close " maison publique " 
Ironie de Cherea : faux conseil, caligula se moque. " recettes pas bonnes" 
Inversion des valeurs étant donné ton âge... je ne te demande pas ton avis" -> mereia : inapte à penser, il doit refuser le poste car il est agé. 
Mais simulacfre du conseil, Caligula s'endort " ferme les yeux " , il délègue les idées du conseil à Caesonia, une femme + sa maitresse, donc peu important. 
Déficit " chiffre " -> gestion des finances comme s'il s'agissait d'une affaire importante pour la société -> ironie car il s'agit de l'argent de Caligula. 
création d'un ordre " héros civique " = encourager à salir les hommes, " le plus mauvais " sera récompensé 
-> " mauvaise décoration " cela n'encourage pas le bonheur, va dans le sens des idéos de caligula. 
Même démarche subversive pour Hélicon : justification de la morale par la décision, " il faut mieux taxer après tout le vice que rançonner la vertu " 
=> valorisation du pouvoir de caligula en l'opposant aux sociétés " républicaines" alors que la fréquentation sera due à la peur de la mort et de l'exil. 

II Démesure et cruauté. 
Evolution progressive de la scène vers la cruauté : 2ème échange Caligula/Méréia 
La scène bascule par la didascalie " caligula ouvre les yeux à demi " 
Tyran semble perdre la maîtrise du jeu : discours qui semble logique " que me dis-tu de cette logique " : questions de Caligula qui s'enchaînent, but précis . 
certitude soupçonneuse de caligula : sorte de paranoïa " omniprésence du pronom " me " : " tu m'épies, tu me soupçonnes " . 
Contraste entre cruauté du geste et attitude " cf didascalie " il lui tend une fiole et aimablement ", violence sauvage dont il n'est plus maître. 
Après le crime, gestes machinaux, involontaires manifestant le décalage entre le conscient et l'inconscient " s'essuie machinalement les mains " 
caligula perdu? " regardant Mereia après un silence " -> "cela ne fait rien" 
Sortie brutale évoquant une attitude de fuite devant le crime. " il sort brusquement " 
Rôle dramatique de la scène : réaction des patriciens face à cela? 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 11/10/2018

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