Bac 2002, français, sujets séries ES et S, convaincre, persuader, délibérer, La Bruyère, Damilaville, Voltaire et Giraudoux
SÉRIES S - ES
Objet d'étude : Convaincre, persuader, délibérer.
Textes :
Texte A - J. de La
Bruyère, « Du Souverain ou de la République » (Caractères, 1688)
Texte B -
E.N. Damilaville : Article « Paix » (Encyclopédie, 1750-1772)
Texte C -
Voltaire : « Guerre » (Dictionnaire philosophique, 1764)
Texte D - J.
Giraudoux : La guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935.
Texte A -
Jean de La Bruyère, «Du Souverain ou de la République», Les Caractères, 1688.
La guerre a pour elle l'antiquité ; elle a été dans tous les siècles :
on l'a toujours vue remplir le monde de veuves et d'orphelins, épuiser les
familles d'héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. Jeune
Soyecour1 ! je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant,
élevé, sociable, je plains cette mort prématurée qui te joint à ton intrépide
frère, et t'enlève à une cour où tu n'as fait que te montrer : malheur
déplorable, mais ordinaire! De tout temps les hommes, pour quelque morceau de
terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler,
se tuer, s'égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et
avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu'on appelle l'art
militaire ; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus
solide réputation ; et ils ont depuis renchéri de siècle en siècle sur la
manière de se détruire réciproquement. De l'injustice des premiers hommes, comme
de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont
trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs
prétentions. Si, content du sien, on eût pu s'abstenir du bien de ses voisins,
on avait pour toujours la paix et la liberté.
1. Jeune homme tué à la
guerre et dont La Bruyère avait peut-être été le précepteur.
Texte B - Article «Paix», Encyclopédie, (1750 - 1772).
PAIX. La guerre est un fruit de la dépravation des hommes : c'est une
maladie convulsive et violente du corps politique, il n'est en santé,
c'est-à-dire dans son état naturel que lorsqu'il jouit de la paix ; c'est elle
qui donne de la vigueur aux empires ; elle maintient l'ordre parmi les citoyens
; elle laisse aux lois la force qui leur est nécessaire ; elle favorise la
population, l'agriculture et le commerce : en un mot elle procure aux peuples le
bonheur qui est le but de toute société. La guerre au contraire dépeuple les
états ; elle y fait le désordre ; les lois sont forcées de se taire à la vue de
la licence qu'elle introduit ; elle rend incertaines la liberté et la propriété
des citoyens ; elle trouble et fait négliger le commerce ; les terres deviennent
incultes et abandonnées. Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent
dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre
sacrifie ; ses victoires même lui font des plaies profondes que la paix seule
peut guérir.
Texte C - Voltaire, «Guerre», Dictionnaire
philosophique, 1764.
Un généalogiste prouve à un prince qu'il descend en
droite ligne d'un comte dont les parents avaient fait un pacte de famille, il y
a trois ou quatre cents ans avec une maison dont la mémoire même ne subsiste
plus. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province dont le
dernier possesseur est mort d'apoplexie : le prince et son conseil concluent
sans difficulté que cette province lui appartient de droit divin. Cette
province, qui est à quelques centaines de lieues de lui, a beau protester
qu'elle ne le connaît pas, qu'elle n'a nulle envie d'être gouvernée par lui ;
que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement :
ces discours ne parviennent pas seulement aux oreilles du prince, dont le droit
est incontestable. Il trouve incontinent un grand nombre d'hommes qui n'ont rien
à perdre ; il les habille d'un gros drap bleu à cent dix sous l'aune, borde
leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche et
marche à la gloire.
Les autres princes qui entendent parler de cette équipée
y prennent part, chacun selon son pouvoir, et couvrent une petite étendue de
pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis Khan, Tamerlan, Bajazet n'en
traînèrent à leur suite.
Des peuples assez éloignés entendent dire qu'on va
se battre, et qu'il y a cinq à six sous par jour à gagner pour eux s'ils veulent
être de la partie : ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des
moissonneurs, et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer.
Ces multitudes s'acharnent les unes contre les autres, non seulement sans
avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s'agit.
Il
se trouve à la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre
trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes
également les unes les autres, s'unissant et s'attaquant tour à tour ; toutes
d'accord en seul point, celui de faire tout le mal possible.
Le merveilleux
de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir
ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son
prochain.
Texte D - Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura
pas lieu, 1935.
[La scène se passe dans l'Antiquité. Les Grecs assiègent
la ville de Troie. Des négociations sont encore possibles pour éviter l'assaut
et la guerre. Andromaque, belle-fille du roi de Troie, Priam, et épouse
d'Hector, lutte de toutes ses forces contre l'idée même de la guerre.]
ANDROMAQUE
- Mon père, je vous en supplie. Si vous avez cette amitié
pour les femmes, écoutez ce que toutes les femmes du monde vous disent par ma
voix. Laissez-nous nos maris comme ils sont. Pour qu'ils gardent leur agilité et
leur courage, les dieux ont créé autour d'eux tant d'entraîneurs vivants ou non
vivants ! Quand ce ne serait que l'orage ! Quand ce ne serait que les bêtes !
Aussi longtemps qu'il y aura des loups, des éléphants, des onces, l'homme aura
mieux que l'homme comme émule et comme adversaire. Tous ces grands oiseaux qui
volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec
les bruyères, sont de plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que
l'autre cible, que le cœur de l'ennemi emprisonné dans sa cuirasse. Chaque fois
que j'ai vu tuer un cerf ou un aigle, je l'ai remercié. Je savais qu'il mourait
pour Hector. Pourquoi voulez-vous que je doive Hector à la mort d'autres hommes
?
PRIAM
- Je ne veux pas, ma petite chérie. Mais savez-vous pourquoi
vous êtes là, toutes si belles et si vaillantes ? C'est parce que vos maris et
vos pères et vos aïeux furent des guerriers. S'ils avaient été paresseux aux
armes, s'ils n'avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu'est la
vie se justifie soudain et s'illumine par le mépris que les hommes ont d'elle,
c'est vous qui seriez lâches et réclameriez la guerre. Il n'y a pas deux façons
de se rendre immortel ici-bas, c'est d'oublier qu'on est mortel.
ANDROMAQUE
- Oh ! justement, Père, vous le savez bien ! Ce sont les braves qui meurent
à la guerre. Pour ne pas y être tué, il faut un grand hasard ou une grande
habileté. Il faut avoir courbé la tête, ou s'être agenouillé au moins une fois
devant le danger. Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux
qui ont déserté la mort. Comment un pays pourrait-il gagner dans son honneur et
dans sa force en les perdant tous les deux ?
PRIAM
- Ma fille, la
première lâcheté est la première ride d'un peuple.
I - APRÈS
AVOIR PRIS CONNAISSANCE DE L'ENSEMBLE DES TEXTES, VOUS RÉPONDREZ D'ABORD A LA
QUESTION SUIVANTE. (4 points)
Ces quatre textes dénoncent la guerre.
Vous analyserez les différents procédés littéraires utilisés à cette fin.
Il - VOUS TRAITEREZ ENSUITE UN DES TROIS SUJETS SUIVANTS AU CHOIX. (16
points)
Dissertation :
Les textes littéraires et les formes
d'argumentation souvent complexes qu'ils proposent vous paraissent-ils être un
moyen efficace de convaincre et persuader ?
Commentaire :
Vous commenterez le texte de Voltaire (texte C)
Écriture d’invention :
Dans l'extrait de La guerre de Troie n'aura pas lieu, Andromaque expose le point de
vue des femmes et les raisons pour lesquelles elles condamnent la guerre.
Ecrivez un dialogue théâtral dans lequel Hector, l'époux d'Andromaque,
expose le point de vue des hommes et les raisons pour lesquelles lui aussi
condamne la guerre. Il s'adresse à son père Priam en présence d'Andromaque ...
[Ces deux personnages interviendront nécessairement dans la scène théâtrale].
Date de dernière mise à jour : 28/07/2021