Bac 2004, français, les sujets à l'étranger, séries ES et S, le biographique, la poésie, Charles Baudelaire, corpus de quatre textes
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES ES - S
Objets d'étude : Le biographique - La poésie.
Textes :
Texte A - Charles Baudelaire : La servante au grand cœur... (Les Fleurs du Mal, 1857)
Texte B - Charles Baudelaire : Je n'ai pas oublié, voisine de la ville... (Les Fleurs du Mal, 1857)
Texte C - Extrait de Baudelaire par lui-même de Pascal Pia (1952)
Annexe - Extrait de Baudelaire de Clément Borgal (1961).
Texte A - Charles Baudelaire : La servante au grand cœur... (Les Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, LXIX, 1857).
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son œil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
Texte B - Charles Baudelaire : Je n'ai pas oublié, voisine de la ville... (Les Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, LXX, 1857).
Je n'ai pas oublié, voisine de la ville,
Notre blanche maison, petite mais tranquille;
Sa Pomone1 de plâtre et sa vieille Vénus2
Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,
Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,
Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,
Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,
Contempler nos dîners longs et silencieux,
Répandant largement ses beaux reflets de cierge
Sur la nappe frugale et les rideaux de serge3.
1. Pomone : déesse latine des fruits et des jardins.
2. Vénus : déesse latine de l'amour.
3. serge : sorte de tissu.
Texte C - Extrait de Baudelaire par lui-même de Pascal Pia (1952).
[Dans son Baudelaire par lui-même, le critique littéraire Pascal Pia fait référence aux deux poèmes précédents (Textes A et B) qu'il confronte à deux extraits de lettres de Baudelaire à sa mère.]
Dans cette évocation de jours quiets1 mais endoloris, dans ce rappel de dîners long et silencieux, dans l'accusation d'ingratitude que Baudelaire feint de s'adresser envers des morts qu'il n'oublie pourtant pas, il serait difficile de ne pas deviner le grief qu'il fait à sa mère de n'avoir pas montré le même attachement et d'avoir distrait, au bénéfice d'un intrus2, une part de son amour.
Longtemps plus tard, en 1858, signalant à sa mère redevenue veuve les deux poèmes qu'on vient de lire, il s'étonnera qu'elle ne lui en ait rien dit :
Vous n'avez donc pas remarqué qu'il y avait dans les Fleurs du Mal deux pièces vous concernant, ou du moins allusionnelles3 à des détails intimes de notre ancienne vie, de cette époque de veuvage qui m'a laissé de singuliers et tristes souvenirs, - l'une : Je n'ai pas oublié, voisine de la ville:.. (Neuilly4), et l'autre qui suit : La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse... (Mariette) ? J'ai laissé ces pièces sans titres et sans indications claires, parce que j'ai horreur de prostituer les choses intimes de la famille. (Lettre du 11 janvier 1858)
Plus tard encore, ayant renoué avec sa mère des liens vraiment affectueux et retrouvé, pour lui parler, le tutoiement, il lui enverra ces lignes à la fois tendres et déchirantes :
Qui sait si je pourrai une fois encore t'ouvrir toute mon âme, que tu n'as jamais appréciée ni connue ! J'écris cela .sans hésitation, tant je sais que c'est vrai. Il y a eu dans mon enfance une époque d'amour passionné pour toi; écoute et lis sans peur. Je ne t'en ai jamais tant dit. Je me souviens d'une promenade en fiacre; tu sortais d'une maison de santé où tu avais été reléguée, et tu me montras, pour me prouver que tu avais pensé à ton fils, des dessins à la plume que tu avais faits pour moi. Crois-tu que j'aie une mémoire terrible ? Plus tard, la place Saint-André-des-Arts et Neuilly. De longues promenades, des tendresses perpétuelles ! Je me souviens des quais, qui étaient si tristes le soir. Ah ! ç'a été pour moi le bon temps des tendresses maternelles. Je te demande pardon d'appeler bon temps celui qui a été sans doute mauvais pour toi. Mais j'étais toujours vivant en toi; tu étais uniquement à moi. Tu étais à la fois une idole et un camarade. Tu seras peut-être étonnée que je puisse parler avec passion d'un temps si reculé. Moi-même j'en suis étonné. C'est peut-être parce que j'ai conçu, une fois encore, le désir de la mort, que les choses anciennes se peignent si vivement dans mon esprit. (Lettre du 6 mai 1861.)
1. quiets : tranquilles, paisibles.
2. cet "intrus" est le général Aupick avec lequel la mère de Baudelaire s'est remariée un an après la mort de son époux.
3. allusionnelles (néologisme) : qui font allusion.
4. Neuilly : à cette époque, ce n'est qu'un gros bourg à l'ouest de Paris.
Annexe - Extrait de Baudelaire de Clément Borgal (1961).
Désireux de relever un défi lancé par Edgar Poe, Baudelaire conçut un jour le projet d'une autobiographie pétard - pour employer son vocabulaire - un recueil de mémoires qui fût à la fois le récit complet de sa vie, et la plus scandaleuse des confessions publiques. Il n'avait même pas à en chercher le titre, l'écrivain américain le lui fournissait. "Un grand livre, écrit-il à sa mère le 1" avril 1861, auquel je rêve depuis deux ans : Mon cœur mis à nu, et où j'entasserai toutes mes colères. Ah ! si jamais celui-là voit le jour, les Confessions de J.-J. paraîtront pâles1."
Malheureusement, comme tant d'autres rêvés par le poète, cet ouvrage est resté à l'état de projet. Les ébauches qui en ont été publiées après sa mort nous apportent certes de précieuses révélations sur son âme. Pour l'histoire de sa vie, en revanche, point ou très peu de renseignements. Force est donc au critique de recomposer sa biographie à partir de données extérieures.
Gardons-nous d'ailleurs d'exagérer l'importance de cette biographie. Nombre d'exégètes*, accordant plus d'intérêt à l'homme qu'à l'œuvre, et trouvant le cas de Baudelaire plus riche d'enseignement que son œuvre de valeur intrinsèque, ont prétendu s'appuyer sur les détails - parfois les plus intimes - de son existence, pour étayer leur thèse. Or, il est peu de vies d'écrivains du XIXe siècle aussi mal connues. Jacques Crépet, l'un des meilleurs spécialistes baudelairiens, en disait sa surprise au lendemain de la guerre. L'érudition depuis n'a point réalisé de sensibles progrès.
Parce que certaines digressions des Paradis artificiels affirmaient l'action exercée sur l'œuvre créatrice du poète par ses impressions d'enfance, ou parce que telle lettre à Ancelle du 18 février 1866, déclarait Les Fleurs du mal inséparables de l'expérience personnelle de leur auteur, on a voulu identifier existence et poésie. Du scandale de l'œuvre, on a inféré** le scandale vécu2. Si l'on s'efforce d'être objectif, on s'aperçoit qu'en réalité la vie de Baudelaire a été singulièrement prosaïque, voire banale.
1. Correspondance, III, 266. Il s'agit d'une référence aux Confessions de J.J. Rousseau.
2. Cf. premier projet de préface pour Les Fleurs du Mal : "On m'a attribué tous les crimes que je racontais" (Œuvres complètes, p. 1380).
* exégètes : ici, critiques littéraires.
** inféré : déduit.
I - Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante : (4 points)
« Vous n'avez pas remarqué qu'il y avait dans Les Fleurs du Mal deux pièces vous concernant, ou du moins allusionnelles à des détails intimes de notre ancienne vie », écrit Baudelaire à sa mère le 11 janvier 1858.
Quelle figure de la mère permettent de construire les allusions contenues dans les deux poèmes ? Vous répondrez brièvement en prenant appui sur des citations précises des textes A et B.
Il - Vous traiterez ensuite un des trois sujets suivants au choix : (16 points)
Dissertation :
Est-il nécessaire de connaître la biographie d'un écrivain pour comprendre et aimer son œuvre ?
Vous répondrez à cette question en un développement argumenté qui prendra appui sur les textes du corpus, ceux que vous avez étudiés pendant l'année et vos lecture personnelles.
Commentaire :
Vous commenterez le texte A : La servante au grand cœur...
Écriture d’invention :
En utilisant le matériau biographique des deux poèmes et des deux lettres, vous rédigerez un fragment de l'autobiographie envisagée par Baudelaire sous le titre de Mon cœur mis à nu.
Pour le registre, votre production devra tenir compte de l'indication donnée par le poète dans un extrait de lettre citée dans l'Annexe : "Un grand livre... où j'entasserai toutes mes colères"; pour le contenu, vous vous inspirerez de l'indication donnée par son biographe, Clément Borgal, dans la même Annexe : "en réalité, la vie de Baudelaire a été prosaïque, voire banale."
Date de dernière mise à jour : 28/07/2021