Textes complémentaires, séquence roman, STG, évolution du personnage, trois incipits, Flaubert, Malraux, Zola

DNBAC

 

  • Trois textes complémentaires : séquence roman, série STG
    Complément d'étude à l'évolution du personnage de roman



    *** Analyse comparative des trois incipits


    Oeuvre intégrale : Camus, l'Etranger
    Textes complémentaires :
    L'incipit de l'éducation sentimentale de Flaubert L'incipit de Germinal, Zola L'incipit de la condition humaine, Malraux




    l'Education Sentimentale de Flaubert.
    Lecture du texte :

    Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-Montereau, prêt de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard.
    Des gens arrivaient hors d'haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation ; les matelots ne répondaient à personne ; on se heurtait ; les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s'absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui, s'échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d'une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à l'avant, tintait sans discontinuer.
    Enfin le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d'usines, filèrent comme deux larges rubans que l'on déroule.
    Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. A travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d'oeil, l'île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.
    M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s'en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d'aller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable, l'avait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui, l'héritage ; il en était revenu la veille seulement ; et il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la route la plus longue.
    Le tumulte s'apaisait ; tous avaient pris leur place ; quelques-uns, debout, se chauffaient autour de la machine, et la cheminée crachait avec un râle lent et rythmique son panache de fumée noire ; des gouttelettes de rosée coulaient sur les cuivres ; le pont tremblait sous une petite vibration intérieure, et les deux roues, tournant rapidement, battaient l'eau.
    La rivière était bordée par des grèves de sable. On rencontrait des trains de bois qui se mettaient à onduler sous le remous des vagues, ou bien, dans un bateau sans voiles, un homme assis pêchait ; puis les brumes errantes se fondirent, le soleil parut, la colline qui suivait à droite le cours de la Seine peu à peu s'abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée.
    Des arbres la couronnaient parmi des maisons basses couvertes de toits à l'italienne. Elles avaient des jardins en pente que divisaient des murs neufs, des grilles de fer, des gazons, des serres chaudes, et des vases de géraniums, espacés régulièrement sur des terrasses où l'on pouvait s'accouder. Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire, pour vivre là jusqu'à la fin de ses jours, avec un bon billard, une chaloupe, une femme ou quelque autre rive. Le plaisir tout nouveau d'une excursion maritime facilitait les épanchements. Déjà les farceurs commençaient leurs plaisanteries. Beaucoup chantaient. On était gai. Il se versait des petits verres.
    Frédéric pensait à la chambre qu'il occuperait là-bas, au plan d'un drame, à des sujets de tableaux, à des passions futures. Il trouvait que le bonheur mérité par l'excellence de son âme tardait à venir. Il se déclama des vers mélancoliques ; il marchait sur le pont à pas rapides ; il s'avança jusqu'au bout, du côté de la cloche ; -- et, dans un cercle de passagers et de matelots, il vit un monsieur qui contait des galanteries à une paysanne, tout en lui maniant la croix d'or qu'elle portait sur la poitrine. C'était un gaillard d'une quarantaine d'années, à cheveux crépus. Sa taille robuste emplissait une jaquette de velours noir, deux émeraudes brillaient à sa chemise de batiste, et son large pantalon blanc tombait sur d'étranges bottes rouges, en cuir de Russie, rehaussées de dessins bleus.



    GERMINAL
    Première partie chapitre 1 : l'arrivée d'Etienne

    l'incipit du roman d'Émile Zola Germinal constitue une épanadiplose : le même personnage marche seul sur la même route
    Lecture
    Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains. Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut. L'homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu'un talus d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrêter. C'était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la silhouette d'une cheminée d'usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d'un échappement de vapeur, qu'on ne voyait point.
    Germinal - extrait de la première partie chapitre 1 - Zola 

     
      Première partie 21 mars 1927
    Minuit et demi.


    Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d’homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés ! La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n’existait plus. Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car, s’il se défendait, il appellerait. Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir.
    © Éditions Gallimard.


    L'incipit de la condition humaine, Malraux 
  • Incipit in medias res, le lecteur est directement plongé dans l'action dès le début du roman.
  •  Pas de descriptions, ni de présentation des personnages ou de la situation. On sait que Tchen va commettre un assassinat et que l'action se situe dans la nuit du 21 mars 1927.
    Nous avons l'heure et la date ce qui fait penser à un reportage. Le lecteur vit les évènements en même temps que Tchen, le personnage donc.
  • Le décor est symbolique et mis en avant par des antithèses entre la lumière et l'obscurité et des bruits.
  • Le monde de Tchen se révèle et le lecteur y pénètre comme s'il s'agissait d'une scène à voir, c'est alors que l'introspection prend son importance.Le lecteur prend dès lors connaissance des perceptions, pensées et sentiments du personnage. La curiosité du lecteur est ainsi éveillée.
  •  La focalisation est interne. Univers mental du personnage.
  • Angoissé
    Monologue intérieur Doutes sur l'assassinat Solitude du personnage coupé du monde 

L'incipit de Germinal, Zola 

  • entrée en scène du héros personnage anonyme, nous avons 4 répétitions du nom homme et «il». Nous n'avons aucune information. Le lecteur avec ce personnage anonyme découvre et se déplace dans le paysage. Le lecteur sait que c'est une victime qui s'introduit dans un monde hostile.
  • Description, identification des lieux. Toponymie des lieux comme la plaine rase, grande route.... , paysage industriel, voie ferrée.... mais pauvre et obscur.
  •  Réflexions. Regard déformant du personnage qui avance la tête vide et de manière désespérée. Progressivement la transformation devient presque fantastique. Le paysage est totalement déformé au point d'évoquer du fait de sa platitude une image maritime.
  • Les symboles de la mort se multiplient, animalisation étouffement puis brusque retour à la réalité par la fosse reconnue par le personnage.
  • Description réaliste, vision fantastique des lieux. 
     

L'incipit de l'éducation sentimentale, Flaubert

L'incipit, une scène d'exposition :

  • Le cadre spatio-temporel - La scène se déroule à Paris, métonymie “Saint Bernard” ligne 2 - On se trouve sur un bateau, champ lexical se rapportant à l'eau/la mer “berges”, “navire”, “matelots” ... - L'action a lieu au 19è siècle en “1840” à la fin de l'été, tôt le matin Le contexte - Fréderic part dans sa ville natale de “Nogent-sur-Seine” alors que les héros habituels se dirigent plutôt vers “la capitale” --> Périphrase - Le voyage est mouvementé, bruyant, long et lent : Flaubert choisit sciemment ce bateau pour allonger la durée du séjour. “la route la plus longue” ; “tapage” ; “on se heurtait”
  • - Intrigue - Le personnage voyage et commence à entrer dans une rêverie sûrement du à l'ennui auquel fait face Frédéric “grand soupir”, “Enfin”. Ce dernier qui témoigne peut-être d'un soulagement. Ensuite, il est soudainement réveillé par la découverte d'une personne d'une “quarantaine d'années” “robuste”, Mr. Arnoux.
    Personnage de Fredéric - Frédéric est un jeune diplômé, romantique “à longs cheveux “, on y voit la description de Flaubert dans son temps romantique. Il n'est pas Parisien “ dont il ne savait pas les noms” - Frédéric est situé à l'arrière, “près du gouvernail” montrant un personnage n'allant pas de l'avant, un jeune homme ne prenant pas d'initiative d'ailleurs c'est sa mère qui choisit pour lui “sa mère [...] l'avait envoyé”. Cet homme est un velléitaire, “immobile” résumant le caractère du personnage tout au long de l'oeuvre. – Le réalisme de l'incipit Descriptions et points de vues - Le narrateur est omniscient, ils sait tout, il voit tout. - Au début , le narrateur nous livre une vision fragmentaire et décousue de la scène, les description change rapidement, c'est des description par touche comme des sortes de flash, marqués par l'énumération “Des gens arrivaient hors d'haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge” mais aussi par les verbes présents “gênaient”, “heurtait” et par la ponctuation. De plus, il y alternance entre personnages secondaires définis et indéfinis “Des gens” ensuite “matelots”
    - La “nuée” et la “fumée” rendent une vision flou au lecteur, accentué par l'allitération en “_ch” rappelant le bruit du bateau à vapeur. - Flaubert nous peint le paysage précisément, surement car il s'inspire de la ville où il a vécu, Croisset. Voir paragraphe 7 et 8 - Le point de vue de Frédéric apparaît de temps à autre mais surtout au dernier paragraphe “il vit”, d'ailleurs Flaubert ose et utilise la 3ème personne du singulier à l'impersonnel juste après le “on” impersonnel, “Il se versait” nous laissant ainsi perplexe quant au point de vue adopté. - Vison et représentation du monde - Flaubert se moque, tourne en dérision les romantiques. - Il emploie l'ironie pour se moquer de la bourgeoisie “faire son droit” en italique et lorsque il évoque le confort bourgeois à travers le regard de Frédéric, ce regard est distant. (au 8è paragraphe)
    Cet incipit est une scène d'exposition, décrivant le cadre, le contexte ainsi que le caractère et le physique du héros. Cet incipit est quelque peu réaliste (beaucoup de description), tournant en dérision le personnage romantique et la bourgeoisie de l'époque.

Pour aller plus loin 

Date de dernière mise à jour : 14/10/2018

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