Brevet blanc de français, Camus, lettre à un ami allemand, l'épistolaire.
BREVET BLANC
District de Roissy-en-Brie, 2000-2001.
Epreuve de français
TEXTE : Albert CAMUS, Lettres à un ami allemand. Gallimard, 1945 (extrait)
Laissez-moi plutôt vous raconter ceci. D’une prison que je sais, un petit matin, quelque part en France, un camion conduit par des soldats en armes mène onze français au cimetière où vous devez les fusiller. Sur ces onze, cinq ou six ont réellement fait quelque chose pour cela : un tract, quelques rendez-vous, et plus que tout, le refus. Ceux-là sont immobiles à l’intérieur du camion, habitués par la peur, certes, mais si j’ose dire, par une peur banale, celle qui étreint tout homme en face de l’inconnu., une peur dont le courage s’accommode. Les autres n’ont rien fait. Et de se savoir mourir par erreur ou victimes d’une certaine indifférence, leur rend cette heure plus difficile. Parmi eux, un enfant de seize ans. Vous connaissez le visage de nos adolescents, je ne veux vous en parler. Celui-là est en proie à la peur, il s’y abandonne sans honte. Ne prenez pas votre sourire méprisant, il claque des dents. Mais vous avez mis près de lui un aumônier* dont la tâche est de rendre moins pesante à ces hommes l’heure atroce où l’on attend. Je crois pouvoir dire que, pour des hommes que l’on va tuer, une conversation sur la vie future n’arrange rien. Il est trop difficile de croire que la fosse commune ne termine pas tout. : les prisonniers sont muets dans le camion. L’aumônier s’est retourné vers l’enfant tassé dans son coin. Celui-ci le comprendra mieux. L’enfant répond, se raccroche à cette voix, l’espoir revient. Dans la plus muette des horreurs, il suffit parfois qu’un homme parle, peut-être va-t-il tout arranger. « Je n’ai rien fait », dit l’enfant. « Oui, dit l’aumônier, mais ce n’est plus la question. Il faut te préparer à bien mourir ». « Ce n’est pas possible qu’on ne me comprenne pas ». « Je suis ton ami, et, peut-être, je te comprends. Mais il est tard. Je serai près de toi et le Bon Dieu aussi. Est-ce que l’enfant y croit ? Oui, il y croit. Alors il sait que rien n’a d’importance auprès de la paix qui l’attend. Mais c’est cette paix qui fait peur à l’enfant. « Je suis ton ami », répète l’aumônier.
Les autres se taisent. Il faut penser à eux. L’aumônier se rapproche de leur masse silencieuse, tourne le dos pour un moment à l’enfant. Le camion roule doucement avec un petit bruit de déglutition sur la route humide de rosée. Imaginez cette heure grise, l’odeur matinale des hommes, la campagne que l’on devine sans la voir, à des bruits d’attelage, à un cri d’oiseau. L’enfant se blottit contre la bâche qui cède un peu. Il découvre un passage étroit entre elle et la carrosserie.
• « aumônier » : prêtre.
QUESTIONS (15 points)
1 – Le récit (4 points)
1. L’époque
a. Dans quel contexte historique se déroule ce récit ? (0.25 point)
b. Citez deux indices qui justifient votre réponse. (0.75 point)
2. Les personnages
a. Donnez la nature grammaticale des mots « ceux-là » (ligne 4) et « les autres » (ligne 7). (0.5 point)
b. A qui renvoie chacun de ces termes ? (1 point)
c. En vous appuyant sur le contexte historique, expliquez le sens du mot « refus » (ligne 4). (1 point)
II. Une scène tragique (7,5 points)
3. Le lieu
a. Où se trouvent les personnages précisément ? (0,25 point)
b. D’Où viennent-ils ? Où vont-ils ? Pourquoi ? (0,75 point)
4. Quelles sont les manifestations de la peur chez les prisonniers (1 point)
5. Transposez au discours indirect le passage : « Je n’ai rien fait… mourir . » (lignes 1 à 17) en commençant par « l’enfant affirme ». (1,5 point)
6. Montrez que l’aumônier représente un espoir pour l’enfant. Citez le texte. (2 points)
7. a. Le dialogue confirme-t-il l’espoir de l’enfant ? Justifiez votre réponse. (1 point)
b. Expliquez le sens de l’expression « la paix qui l’attend » (ligne 21). (1 point)
III. La lettre (3,5 points)
8. A qui cette lettre est-elle censée s’adresser (0,5 point)
9. A qui d’autre peuvent s’appliquer respectivement le pronom « vous » (ligne 1) et le pronom « vous » (ligne 11) ? (1 point)
10. Quel mode verbal indique également la présence du destinataire dans le texte ? Relevez un exemple. (1 point)
11. D’après vous, dans ce texte, l’auteur fait-il plutôt figure de juge, de témoin ou d’acteur ? Justifiez votre choix. (1 point)
REECRITURE (3 points)
1. Transposez le passage : « L’aumônier se rapproche… à l’enfant ». (lignes 23 à 24) au passé composé en commençant par
2. Transposez le passage : « L’enfant se blottit… carrosserie. » (lignes 28 à 29) au passé composé, en commençant par « les prisonniers ».
REDACTION (15 points)
Sujet :
L’adolescent décide de se sauver. Il tente de persuader l’aumônier de l’aider.
Vous rédigerez un récit à la 3e personne qui devra comporter des passages des passages de dialogue dans lesquels les personnages développent leurs arguments.
DICTEE (7 points)
Ce jour-là, après le départ du gardien, je me suis regardé dans ma gamelle de fer. Il m’a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j’essayais de lui sourire. Je l’ai agitée devant moi. J’ai souri et elle a gardé le même air sévère et triste. Le jour finissait et c’était l’heure dont je ne veux pas parler, l’heure sans nom, où les bruits du soir montaient de tous les étages de la prison dans un cortège de silence . Je me suis approché de la lucarne et, dans la dernière lumière, j’ai contemplé une fois de plus mon image.
Albert Camus, L’Etranger.
Pour aller plus loin
Date de dernière mise à jour : 01/05/2021