Brevet blanc de français, épreuve commune corrigée,Dai Sijie : Balzac et la petite tailleuse chinoise
Épreuve commune de Français 3ème
janvier 2009
Pendant la Révolution culturelle chinoise (1966-1976), le narrateur,
un jeune étudiant de 17 ans, est envoyé à la campagne dans un
village pour être rééduqué par le travail. Toutes les distractions sont
interdites. Un jour, il peut se procurer illégalement et secrètement
un roman de Balzac traduit en chinois, Ursule Mirouët ; mais il faut
maintenant rendre le livre.
Soudain, je sus ce que je voulais faire.
Je décidai de copier mot à mot mes passages préférés
d'Ursule Mirouët. C'était la première fois de ma vie que j'avais
envie de recopier un livre. Je cherchai du papier partout dans
la chambre, mais ne pus trouver que quelques feuilles de
papier à lettres, destinées à écrire à nos parents.
Je choisis alors de copier le texte directement sur la peau de
mouton de ma veste. Celle-ci, que les villageois m'avaient
offerte lors de mon arrivée, présentait un pêle-mêle de poils
de mouton, tantôt longs, tantôt courts, à l'extérieur, et une
peau nue à l'intérieur. Je passai un long moment à choisir le
texte, à cause de la superficie limitée de ma veste, dont la
peau, par endroits, était abîmée, crevassée. Je recopiai le
chapitre où Ursule voyage en somnambule. J'aurais voulu être
comme elle : pouvoir, endormi sur mon lit, voir ce que ma
mère faisait dans notre appartement, à cinq cents kilomètres
de distance, assister au dîner de mes parents, observer leurs
attitudes, les détails de leur repas, la couleur de leurs assiettes,
sentir l'odeur de leurs plats, les entendre converser...
Mieux encore, comme Ursule, j'aurais vu, en rêvant, des
endroits où je n'avais jamais mis les pieds...
Écrire au stylo sur la peau d'un vieux mouton des
montagnes n'était pas facile : elle était mate, rugueuse et,
pour copier le plus de texte possible dessus, il fallait adopter
une écriture minimaliste, ce qui exigeait une concentration
hors normes. Lorsque je finis de barbouiller de texte toute la
surface de la peau, jusqu'aux manches, j'avais si mal aux
doigts qu'on aurait dit qu'ils étaient cassés. Enfin, je
m'endormis.
Dai Sijie, Balzac et la petite tailleuse chinoise, Gallimard, 2000
A. Questions (15 points)
Toutes les réponses doivent être rédigées.
I . Une vie quot idienne pénible
1. Quel est le point de vue adopté ? Justifiez votre réponse.
(1,5 point)
2. Montrez que le narrateur vit dans des conditions difficiles
(deux éléments obligatoires). (1 point)
3. Relevez dans le texte un indice prouvant que le narrateur
partage sa chambre avec quelqu'un d'autre. (0,5 point)
4. Dans la description de la veste du narrateur, par quels
éléments nous est révélée sa pauvreté ? (1,5 point)
5. Montrez que cette vie pénible contraste avec sa vie d'avant.
(1 point)
I I . Une possibi l i té d’évasion
6. a) Décomposez le mot « somnambule » (ligne 14) en deux
radicaux différents. (0,5 point)
b) Citez un mot de la famille de chacun des radicaux. (0,5
point)
7. Relevez le champ lexical du sommeil dans tout le texte.
Comment peut-on interpréter cet attrait pour le sommeil ? (1,5
point)
8. « J'aurais voulu [...] pieds » (lignes 14 à 21).
a) Relevez deux verbes au conditionnel passé et
expliquez leur emploi. (0,5 point)
b) En vous appuyant sur le texte, dites quels sont les
sens qui sont sollicités dans la narration. (1 point)
9. a) Quels sont les deux voeux que le narrateur souhaite
réaliser en s'identifiant à Ursule Mirouët ? Pour chacun, citez
le texte à l'appui de votre réponse. (1 point)
b) Des deux voeux, lequel lui semble préférable ? (0,5 point)
c) Quel besoin ce choix révèle-t-il ? (0,5 point)
I I I . L’ef for t du copiste
10. Qu'apprenons-nous sur le caractère du narrateur dans les
phrases «Je décidai de copier mot à mot mes passages
préférés d'Ursule Mirouët » (lignes 2-3) et « Je passai un long
moment à choisir le texte » (lignes 11-12) ? (1 point)
11. En vous aidant de l'étymologie ou de mots de la même
famille, expliquez ce que peut être « une écriture minimaliste »
(ligne 25). (1 point)
12. Réécrivez la phrase « elle était mate, rugueuse et, pour
écrire le plus de texte possible, il fallait adopter une écriture
minimaliste » (lignes 23-25) en faisant apparaître une
proposition subordonnée de conséquence. (0,5 point)
13. Justifiez la brièveté de la dernière phrase du texte : le
narrateur prend-il le temps de savourer la réussite de son
entreprise, et pourquoi ? (1 point)
B. Réécriture (5 points)
Réécrivez le deuxième paragraphe (depuis « Je décidai »
jusqu'à « nos parents », lignes 2 à 6) au présent de l'indicatif,
en remplaçant le narrateur singulier par le pluriel
correspondant.
C. Dictée (5 points)
Épreuve commune de Français 3ème –
janvier 2009 -
CORRIGÉ
Texte : Dai Sijie, Balzac et la petite tailleuse chinoise,
Gallimard, 2000
A. Questions (15 points)
I . Une vie quot idienne pénible
1. Le point de vue employé est le point de vue interne car le
récit est fait à la première personne. On connaît donc les
pensées, sensations et sentiments du narrateur.
2. Le narrateur vit dans des conditions difficiles : d’une part, il
ne dispose pas du papier qu’il lui faudrait (« (je) ne pus trouver
que quelques feuilles de papier à lettres, destinées à écrire à
nos parents » l.5-6) et d’autre part il ne possède qu’une veste
en mauvais état (« la peau, par endroits, était abîmée,
crevassée » l.12-13).
3. L’emploi du pluriel « nos parents » (l.6) prouve que le
narrateur partage sa chambre avec une autre personne.
4. On sait que la veste lui a été donnée. Les deux passages
dans lesquels elle nous est décrite, lignes 8 à 13 et ligne 23,
nous montrent une veste faite de « poils de mouton » et d’une
« peau nue à l’intérieur ». Cette peau est grossièrement
travaillée puisqu’elle est « mate » et « rugueuse ».
5. Lorsque le narrateur imagine les activités de ses parents,
on note une impression de bien-être. On apprend qu’il vivait
dans un appartement (l. 16) alors qu’il ne dispose à présent
que d’une chambre et que ses parents prennent des repas en
famille alors qu’il est tout seul.
I I . Une possibi l i té d’évasion
6. a) Le mot « somnambule » (ligne 14) est composé des
radicaux somn- (le sommeil) et ambul- (marcher).
b) « Insomnie » et « déambuler » sont des mots construits sur
ces deux radicaux.
7. Les mots appar tenant au champ lexi cal du
sommei l sont : « chambre « (l. 5), « somnambule « (l.
14), « endormi » (l. 15), « lit » (l. 15), « rêvant » (l. 20) et
« endormis » (l. 29). Cet attrait pour le sommeil s’explique
sans doute par le fait que le narrateur est retenu dans un
village pour y travailler.
8. a) « J'aurais voulu » (l. 14) et « j'aurais vu » (l. 20) sont au
conditionnel passé. Ils expriment tous les deux une action qui
dépend d’une condition et située dans le passé par rapport au
moment de l’écriture. Ce sont des voeux.
b) Les sens sollicités dans la narration sont la vue (« voir »
l.15, « observer » l. 17, « j’aurais vu » l. 20), l’ouïe
(« entendre » l. 19) et l’odorat (« sentir l'odeur de leurs plats »
l. 19).
9. a) En s'identifiant à Ursule Mirouët, le narrateur voudrait
« pouvoir […] voir ce que (sa) mère faisait dans (leur)
appartement, […] assister au dîner de (ses) parents … » (l.
15-19) et voir « en rêvant, des endroits où il n'avai(t) jamais
mis les pieds... » (l. 20-21)
b) Des deux voeux, le second lui semble préférable car il
l’introduit par « Mieux encore » (l. 20)
c) Ce choix révèle un besoin d’évasion qui s’explique sans
doute par son jeune âge et par le fait qu’il est retenu dans un
village pour être rééduqué par le travail.
I I I . L’ef for t du copiste
10. Ces phrases nous montrent que le narrateur possède un
caractère soigneux et méticuleux, qu’il est très respectueux du
texte qu’il copie et que cet acte est pour lui d’une grande
importance.
11. « Minimaliste » est un mot de la famille de « minimum » et
de « minuscule » (son étymologie signifie « moins), donc «
une écriture minimaliste » est une écriture qui s’efforce d’être
la plus petite possible.
12. « Elle était mate, rugueuse et, de sorte que j’écrive le plus
de texte possible, (ou : de sorte que j’écrivisse le plus de texte
possible) il fallait adopter une écriture minimaliste ».
13. La dernière phrase du texte est brève pour montrer que le
narrateur ne prend pas le temps de savourer la réussite de
son entreprise parce que l’effort l’a fatigué et qu’il n’en a plus
la force (la phrase est introduite par « enfin », pour montrer
que c’est une délivrance).
B. Réécriture (5 points)
Nous décidons de copier mot à mot nos passages préférés
d'Ursule Mirouët. C'est la première fois de notre vie que nous
avons envie de recopier un livre. Nous cherchons du papier
partout dans la chambre, mais ne pouvons trouver que
quelques feuilles de papier à lettres, destinées à écrire à nos
parents.
C. Dictée (5 points)
Un livre peut être une forêt de signes. Mais une forêt non
tropicale, une forêt domestiquée, aménagée, un parc de
loisirs, un éden à portée des lèvres et des yeux. Ne dit-on pas
d’ailleurs, quand on parcourt un livre, ne dit-on pas qu’on le
feuillette ? Les livres auraient donc des feuilles, comme les
arbres ! On n’oublie jamais un livre parlant des forêts quand il
est lu dans les branches d’un arbre. Il faudrait faire aussi des
livres qu’on pourrait lire sous l’eau quand ils nous parlent de la
mer et d’autres, phosphorescents, pour nous raconter chaque
nuit les étoiles ! Mais je rêve.
Jacques Lacarrière
Date de dernière mise à jour : 01/05/2021