La ville en poésie, Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire
Le thème de la ville en poésie : Baudelaire, Rimbaud et Apollinaire
Les fenêtres, A une passante de Baudelaire, les Ponts Illuminations de Rimbaud et Vendémiaire d'Apollinaire
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
« A une passante », Les Fleurs du mal, Baudelaire
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Comment la ville devient le lieu d’une rencontre amoureuse et de l’écriture poétique ?
Dans l’imagination baudelairienne, Paris est un motif essentiel. La ville est remplie d’êtres, de situations, et de choses dont le poète, au hasard de ses déambulations, cherche à en dégager la beauté. La section « Tableaux parisiens » des Fleurs du mal témoigne de cette importance qu’à Paris. Le sonnet « A une passante » fait partie de cette section ; il exprime la rencontre singulière entre le poète et une femme d’une extrême beauté.
Problématique
Mais comment la ville devient le lieu d’une rencontre amoureuse et de l’écriture poétique dans ce sonnet ? Pour répondre à cette problématique nous étudierons la rencontre amoureuse, un moment suspendu dans le temps durant lequel est apparue une femme éblouissante puis nous verrons comment cette rencontre a inspiré le poète.
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Une rencontre amoureuse brève mais intense
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Un moment fugace suspendu
Le poète nous décrit une rencontre soudaine et brusque qui contraste avec l’environnement de la ville. Il utilise le passé simple qui s’oppose à l’imparfait « hurlait » (v.1) et « passa » (v.3). C’est une rencontre intense mais rapide, fugace mais éternelle comme on le voit avec la rime « fugitive beauté » et « éternité ».
Cette rencontre amoureuse fugace est également explicitée par la ponctuation et le nom « éclair » du vers 9. « Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté » renforcée par un hémistiche.
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Une femme belle et cruelle
Le poète a rencontré une femme très belle, que l’on peut qualifier d’allégorie de la beauté. On en retrouve le champ lexical, accentué d’une allitération en [s] « Longue, mince » « main fastueuse » « majestueuse » « Agile et noble, avec sa jambe de statue ». L’analogie avec une statue rend sa beauté immuable. Cette belle femme possède une démarche harmonieuse comme on le voit à l’enjambement des vers 3 et 4 et avec les gérondifs de ce vers « Soulevant » « balançant »
L’antithèse au vers 8 « La douceur qui fascine et le plaisir qui tue » montre que cette femme est belle mais dangereuse c’est une opposition qui se rapproche de celle d’Eros et Thanatos. Ces deux hémistiches symétriques montrent une fascination pour cette femme et une fascination de la mort.
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Une intimité nouvelle
L’évocation de la passante se fait de manière progressive, au début une simple étrangère, elle partage vers la fin une intimité certaine avec le poète. On le voit car au début du sonnet c’est « une passante » « Une femme passa » ; l’article indéfini montre que c’est une rencontre et l’homme ne connaissait pas la femme auparavant il « ignore » tout d’elle. Mais il tutoie la femme à partir du verbe 11, ce n’est alors plus une inconnue. On retrouve un discours direct avec le tiret ; marque de dialogue. L’anaphore « ô toi » accentue cette intimité.
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Un amour impossible
Mais cet amour sera impossible ; cette apparition et aussi une disparition comme le montre le vers 9 « Un éclair…puis le nuit ! ». Les phrases exclamatives du vers 12 montrent l’éloignement spatial et puis l’éloignement temporel qui font qu’il n’y aura pas de suite à cette rencontre. « Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! ». Dans ces deux hémistiches, le poète répond lui-même à la question qui venait d’être posée « Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? »
L’adverbe « jamais » est très fort dans ce vers ; pourtant attaché à « peut être » qui montre l’espoir du poète et son incertitude. On retrouve aussi le lexique de la fuite : « fuis », « bien loin d’ici », « fugitive ».
Le chiasme du vers 13 « j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais » met cette incertitude en exergue et renforce le hasard et mystère auquel nous faisons face.
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Qui inspire le poète
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Un sonnet qui retrace un moment marquant
Pour s’exprimer à propos de cette rencontre, Baudelaire a choisi un sonnet en alexandrins avec des rimes embrassées, croisées et suivies. On retrouve une alternance de rimes masculines et féminines. Ces rimes sont pauvres, suffisantes et riches. Dans ce sonnet on voit bien que les perceptions de locuteur sont exprimées avec les pronom « je » « moi » « j’ ».
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Une femme qui éblouit
Cette femme a obnubilé le poète. On le voit avec l’opposition entre la femme et l’homme, elle est active et lui passif, statique. Cette opposition est exprimée avec des verbes d’actions véritables « passa » et d’autres verbes qui traduisent une certaine immobilité « je buvais ».
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Un amour et une inspiration qui prennent place dans un lieu particulier : la ville
Cette apparition se fait dans un endroit particulier ; la ville, caractérisée avec des sensations auditives, le narrateur est entouré de sons, de bruits « assourdissante autour de moi hurlait ». Mais « une femme passa », l’action de premier plan avec un passé simple met la femme au 1er plan. On retrouve le rythme moderne et rapide de la ville qui reflète la modernité de Baudelaire. Mais le monde urbain n’est pas propice à l’amour et à la poésie et cette rencontre n'aboutit pas.
Conclusion
Ainsi, dans ce sonnet « A une passante », la ville présente une rencontre brève mais marquante, d’une femme extrêmement belle bien que dangereuse, cette rencontre et aussi un adieu. Cette apparition suivie d’une disparition, ont inspiré le poète grandiose qu’est Baudelaire pour écrire un sonnet à son image tiraillé entre l’Idéal et le Spleen, la beauté et le néant, l’apparition et la disparition. Quel autre poème de Baudelaire son centré sur une femme de manière similaire à celui-ci ?
SPLEEN DE PARIS - LES FENETRES XXXV
Lecture du texte
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?" Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis?
Le corrigé intégralement rédigé fait 3 pages word, il comprend une introduction, un développement en deux parties avec une transition et une conclusion avec une ouverture.
Sujet :
Vous ferez le commentaire du poème de Baudelaire, « les fenêtres », petits poèmes en prose.
Plan proposé :
- I – Une lecture polyvalente
- 1 – De l'obscurité à la lumière : la fenêtre, un passage entre deux mondes
- 2 – La fenêtre : objet d'une introspection
- 3 – A la découverte d'un monde
- Transition
- II – Une définition de la création et ses implications
- 1 – Les implications symboliques
- 2 – Fonction de l'écriture poétique : recréation d'un monde
- 3 - Les implications philosophiques
- Conclusion
Introduction
Nous nous proposons d'analyser un poème en prose de Charles Baudelaire intitulé "les fenêtres", extrait du Spleen de Paris, section des Fleurs du Mal, en date de 1869 ouvrage essentiel du poète, peu reconnu lors de sa parution et même condamné pour immoralité. Le recueil sera pourtant consacré à sa juste valeur par les poètes de la fin du 19ème siècle ainsi que par les artistes du début du 20ème dans la mesure où l'oeuvre est considérée comme modèle précurseur de la poésie moderne. Ce petit poème en prose est la 35ème poésie de la section Spleen de Paris. Baudelaire, écrivain français héritier du romantisme est né en 1821 et mort en 1867. L'écriture poétique s'exerce ici sur un objet bien familier, "une fenêtre" mais s'élève ensuite au delà du simple statut d'objet matériel pour nourir les méditations et élévations spirituelles de l'écrivain. Le point de départ n'en reste pas moins empirique, mais un renversement des valeurs s'opère par une véritable introspection autour du mystérieux objet qu'est la "fenêtre". La vision poétique s'élargit et l'écriture se met au service de la pensée. Derrière la fenêtre, objet anodin se révèlent le spectacle de la vie, sa portée philosophique et la fonction de l'écriture poétique et du poète.
Dans le but de répondre à la question de savoir en quoi et comment par la vision d'un objet d'apparence anodine, le poète peut par la sublimation recréer un monde, nous verrons dans un premier temps la possible polyvalence de lecture du poème et, en second lieu, ses implications symboliques et philosophiques.
I – Une lecture polyvalente
1 – De l'obscurité à la lumière : la fenêtre, un passage entre deux mondes
L'apparent manque de logique entre les strophes du poème qui s'élèvent au nombre de cinq permettrait à Baudelaire de jouer sur les oppositions entre la lumière et l'obscurité. En effet, deux mondes semblent s'articuler autour de “l'objet fenêtre”. Elle laisse voir ainsi que le suggère le champ lexical de la vue et de la lumière : “regarde”, “éclaire”, mais elle peut en outre ne pas laisser voir et devenir “ce trou noir”. La périphrase regroupe à elle-seule le jeu d'oppositions entre lumière et obscurité : “Trou noir ou lumineux” faisant passage entre deux mondes.
2 – La fenêtre : objet d'une introspection
L'étroitesse du cadre évoqué par la fenêtre fermé ou encore “une vitre” se confirme laissant ainsi place à l'imagination de “celui- qui “ souhaite pénétrer la pièce qu'elle abrite secrètement et que le regard anonyme désire pénétrer et scruter. L'objet est dans ce cas de figure regardé de l'extérieur laissant la curiosité insatisfaite.
3 – A la découverte d'un monde
L'ouverture sur le monde abrité et caché par la fenêtre qu'elle peut malgré tout suggérer et qu'elle pourrait tout à fait dévoiler se précise. Le regard du poète se pose sur une femme “toujours penchée sur quelque chose” qu'il aperçoit et dont on sait seulement qu'elle est “mûre” et “ridée”. La vision du “Je” s'oriente, se focalise et prend forme en imagination. L'observation est dépassée et le monde évoqué par delà la métaphore spatiale “des vagues de toits” trouve ses limites dans l'imaginaire du contemplateur. Il s'amuse à refaire en pensée l'histoire d'une vie “j'en refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende...”. L'image donnée par le personnage aperçu et recréé devient symbole d'une vie imaginée depuis l'apparence physique, vestimentaire et par les gestes répétés. Une vie de ce fait est recrééé “avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien”. La réalité est dépassée par l'interprétation grandissante du regard associé à la réflexion et à l'affection portées à cette femme .
Transition :
L'objet n'est plus perçu pour lui-même. Le monde caché par la fenêtre et laissant transparaître l'histoire de cette femme devient recréation d'un monde en imaginaire et en pensée avec des implications symboliques et philosophiques essentielles à l'écriture poétique.
II – Une définition de la création et ses implications
1 – Les implications symboliques
L'écriture poétique se charge d'une mission symbolique, il s'agit de recréer par l'intermédiaire du quotidien l'histoire d'une vie lourde de sens et de connotations. Le poète se fait le témoin et le messager mystérieux du quotidien sublimé. Cet aspect de la fonction poétique est mis en évidence par les adjectifs qualificatifs révélateurs à cet égard, “profond/mystérieux/fécond/ténébreux”.
2 – Fonction de l'écriture poétique : recréation d'un monde
Si la fenêtre est inspiratrice, le génie poétique à l'imagination débordante se met au service de la recréation d'un monde. Il semblerait que créer ne soit pas autre chose que recréer ce qui existe déjà au détriment de toute objectivité ainsi que le suggère la question : “es-tu sûr que cette légende soit la vraie? “ La véracité est ici écartée pour nourir en éloge le pouvoir infini de cette faculté qu'est l'imagination. L'artiste recrée la vie des personnages.
3 - Les implications philosophiques
L'effet de théâtralisation est évident et accentué par les allitérations et les rythmes ternaires, mais l'effet voulu n'est plus mis en relation avec l'objet fenêtre du début mais avec un univers magique et révélateur du “Moi” et de “l'Autre”. Le “Je” du poète en mal de sublimation se découvre par les mots dans sa fonction première : “je crée donc je suis”. Nous retrouvons en fin de texte une terminologie philosophique : “Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis”. La dialectique de l'existence et de l'essence domine et cette réflexion permet à Baudelaire de conclure et de poser la nécessité de créer au sens d'une survie de son “Je créateur”. Les connotations philosophiques et existentielles sont manifestes dans l'invitation à la spiritualité “vit la vie, rêve la vie, souffre la vie”. Nous pourrions la ramener à l'opposition dominante des Fleurs du Mal du Spleen et de l'Idéal : l'élan vers l'Idéal et son contraire, la détresse, le mal de vivre. Deux mondes interférant du Spleen à l'anti-Spleen nous renvoyant ainsi à la nécessaire réflexion sur la condition humaine et le tragique du temps qui passe au delà de toute création sublimée.
Conclusion
Nous retrouvons ainsi au-delà de cet objet familier et anodin qu'est la fenêtre, l'écriture poétique en quête de sublimation dans sa fonction cathartique, libératrice des maux par les mots. Derrière le monde du spleen et de l'anti-spleen, l'Idéal, le poète trouve en lui la force salvatrice de recréer le monde, l'histoire d'une vie, la légende des hommes.
Nous pourrions faire un rapprochement avec la puissance infinie de l'imagination chez Pascal qui dans les Pensées l'affirme en puissance et supériorité sur la raison. Baudelaire s'approprie fort bien cette force infinie propre à cette faculté en mettant en pratique l'équation : “je crée donc je suis”.
"Vendémiaire d' Apollinaire :
Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l'époque où finissaient les rois
Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismégistes
Que Paris était beau à la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne où les pampres
Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut
Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l'aube
Un soir passant le long des quais déserts et sombres
En rentrant à Auteuil j'entendis une voix
Quui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine
La plainte d'autres voix limpides et lointaines
Et j'écoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu'éveillait dans la nuit la chanson de Paris
J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux aui aux treilles chantèrent
Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille
Nous t'apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n'entendras pas
Et d'amont en aval nos pensées ô rivières
Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t'apportons aussi cette souple raison
Que le mystère clôt comme une porte la maison
Ce mystère courtois de la galanterie
Ce mystère fatal fatal d'une autre vie
Double raison qui est au-delà de la beauté
Et que la Grèce n'a pas connue ni l'Orient
Double raison de la Bretagne où lame à lame
L'océan châtre peu à peu l'ancien continent
Et les villes du Nord répondirent gaiement
Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l'Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Où les ouvriers nus semblables à nos doigts
Fabriquent du réel à tant par heure
Nous te donnons tout cela
Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières
Désaltère-toi Paris avec les divines paroles
Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent
Toujours le même culte de sa mort renaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang
Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur
Un enfant regarde les fenêtres s'ouvrir
Et des grappes de têtes à d'ivres oiseaux s'offrit
Les villes du Midi répondirent alors
Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinée
Et toi qui te retires Méditerranée
Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties
Ces très hautes amours et leur danse orpheline
Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes
Et un râle infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d'ailes ces paroles
Les raisins de nos vignes on les a vendangés
Et ces grappes de morts dont les grains allongés
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel
Obscurci de nuées faméliques
Que caresse Ixion le créateur oblique
Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d'Afrique
Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille
L'avenir et la vie dans ces treilles s'ennuyent
Mais où est le regard lumineux des sirènes
Il trompa les marins qu'aimaient ces oiseaux-là
Il ne tournera plus sur l'écueil de Scylla
Où chantaient les trois voix suaves et sereines
Le détroit tout à coup avait changé de face
Visages de la chair de l'onde de tout
Ce que l'on peut imaginer
Vous n'êtes que des masques sur des faces masquées
Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyés flottant sur son onde nouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives
Elles dirent adieu au gouffre et à l'écueil
A leurs pâles époux couchés sur les terrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil
Les suivirent dans l'onde où s'enfoncent les astres
Lorsque la nuit revint couverte d'yeux ouverts
Errer au site où l'hydre a sifflé cet hiver
Et j'entendis soudain ta voix impérieuse
O Rome
Maudire d'un seul coup mes anciennes pensées
Et le ciel où l'amour guide les destinées
Les feuillards repoussés sur l'arbre de la croix
Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican
Macèrent dans le vin que je t'offre et qui a
La saveur du sang pur de celui qui connaît
Une autre liberté végétale dont tu
Ne sais pas que c'est elle la suprême vertu
Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles
Les hiérarques la foulent sous leurs sandales
Ô splendeur démocratique qui pâit
Vienne le nuit royale où l'on tuera les bêtes
La louve avec l'agneau l'aigle avec la colombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle
Sortiront de la terre et viendront dans les airs
Pour boire de mon vin par deux fois millénaire
La Moselle et le Rhin se joignent en silence
C'est l'Europe qui prie nuit et jour à Coblence
Et moi qui m'attardais sur le quai à Auteuil
Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles
Du cep lorsqu'il est temps j'entendis la prière
Qui joignait la limpidité de ces rivières
O Paris le vin de ton pays est meilleur que celui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord
Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible
Mes grappes d'hommes forts saignent dans le pressoir
Tu boiras à longs traits tout le sang de l'Europe
Parce que tu es beau et que seul tu es noble
Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir
Et tous mes vignerons dans ces belles maisons
Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux
Dans ces belles maisons nettement blanches et noires
Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire
Mais nous liquides mains jointes pour la prière
Nous menons vers le sel les eaux aventurières
Et la ville entre nous comme entre des ciseaux
Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux
Dont quelque sifflement lointain parfois s'élance
Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence
Les villes répondaient maintenant par centaines
Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines
Et Trèves la ville ancienne
A leur voix mêlait la sienne
L'univers toout entier concentré dans ce vin
Qui contenait les mers les animaux les plantes
Les cités les destins et les astres qui chantent
Les hommes à genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-même
Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front
L'éclair qui luit ainsi qu'une pensée naissante
Tous les noms six par six les nombres un à un
Des kilos de papier tordus comme des flammes
Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements
Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment
Des armées rangées en bataille
Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres
Au bord des yeux de celle que j'aime tant
Les fleurs qui s'écrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaîtrai jamais
Tout cela tout cela changé en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors présenté
Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez
Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré
Mais je connus dès lors quelle saveur a l'univers
Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers
Sur le quai d'où je voyais l'onde couler et dormir les bélandres
Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s'il me plaît l'univers
Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie
Et la nuit de septembre s'achevait lentement
Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine
Problématique :
- Comment la promenade nocturne dans Paris se transforme en tentative de captation du monde entier par la poesie ?
Plan de l'étude :
- I -La poésie comme ivresse
- II. Le poète à travers le temps et l'espace
Questions en fonction du plan :
I. La poésie comme ivresse
I - Questionnaire
- - En quel sens pouvons-nous assimiler la poésie à une ivresse dans cette poésie?
- On peut assimiler la poésie à une ivresse dans cette poésie car dès le titre du Recueil Alcools, nous retrouvons la connotation de l'ivresse poétique.
- De nombreux vers reflètent le champ lexical de la vigne «pampre », «vendange » « vigne », «raisin », «grains miraculeux », l'ivresse est suggérée : c'est dans le sens second du terme que nous en retrouvons l'état d'esprit. Le poète s'enivre. L'excès est implicite et pour cette raison nous pouvons également parler d'inspiration dionysiaque. Par une versification irrégulière le poète évoque l'univers dans sa totalité comme si le langage poétique lui permettait de s'enivrer à l'infini en embrassant le monde entier.
- - Quel est le thème du poème?
- Il s'agit d'une promenade nocturne en solitaire
- « Que Paris était beau à la fin de Septembre » puis « Un soir passant le long des quais déserts et sombres » « les bords de la Seine »
- - Etudiez les temps
- Le temps présents sont le passé, le futur et le présent d'énonciation
- - Le ton est-il réaliste?
- Le ton du poème n'est pas réaliste. Nous sommes dans un récit poétique qui retrace une nuit d'ivresse
- - Etudiez le titre du poème
- - Qu'évoque t'-il?
- Vendémaire correspond au mois du calendrier révolutionnaire = septembre, octobre = Il évoque la période des vendanges.
- - Comment l'ivresse se traduit-elle?
- L'ivresse se traduit dans l'état d'esprit du poète et elle lui donne l'illusion de ne faire plus qu'un avec l'univers. L'idée d'harmonie domine entre le poète et l'univers. L'impression d'osmose rythme toute la poésie. L'ivresse est douce et le chaos n'existe plus, il n'y a aucun désaccord. Le poème est une métaphore filée sur le thème de l'ivresse. Les villes sont personnifiées et se confondent avec le poète qui lui-même devient l'univers tout entier : dans le temps et dans l'espace.
- "Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers"
- - Etudiez la versification
- La versification est irrégulière, il y a des alexandrins avec des rimes plates. La strophe 6 n'a aucune rime.
- - Quels sont les effets "d'harmonie"?
- On note la présence de versets, (Le verset en poésie est une forme d'écriture située entre le vers et le paragraphe), ces derniers altèrent l'impression d'harmonie dans les alexandrins.
II. Le poète a travers le temps et l'espace
II - Questionnaire
- - Quelle image avons-nous du poète?
- Le poète est dans la plus grande solitude de la nuit, seul, il s'ouvre au monde tout entier qui s'offre à lui telle une ivresse incontrôlable. Il accueille, il écoute, il aiguise ses sens pour se confondre avec l'univers. Il recherche l'unité et l'harmonie dans la plus grande ivresse poétique, l'excès de sa quête l'éloigne du genre humain pour ne faire plus qu'un avec le reste du monde. Le lecteur à la vision d'un être différent, inaccessible, inadapté à la réalité du monde concret. La poésie semble nous inviter à nous dépasser, le poète est ailleurs et le langage poétique nous y invite. La fonction est ici évasive et salvatrice car en s'identifiant à l'artiste on s'échappe en tant que simple lecteur de la réalité du quotidien. Nous devenons l'espace d'un instant le poète enivré et l'univers ressenti.
- - Est-il un homme solitaire?
- Le poète est un homme solitaire. C'est le seul homme présent dans la poésie ainsi que le suggère la récurrence du pronom personnel «je » et du pronom complément « me ».
- - Que recherche t'-il?
- L'unité, la paix, la douceur et la beauté du monde à travers la poésie et le langage privilégié des vers. L'état d'esprit est celui de l'accord et de l'harmonie. Le poète cherche à accueillir le monde entier.
- - Comment le désir d'harmonie est-il perçu?
- Au delà de la versification évoquée dans le I, le désir d'harmonie est perceptible grâce au chant : «j'entendis un voix », «mélodie », «chantait », «chanson de Paris ». L'effet rendu est celui d'une mélodie qui orchestrerait l'ensemble de la poésie. De plus, l'aspiration du poète à la totalité et à l'unité se fait par l'intermédiaire d'une ingestion du monde :
- « j'ai soif villes de France et d'Europe et du Monde »
- « venez toutes couler dans ma gorge profonde »
- - A qui le poème s'adresse t'-il?
- Le poète s'adresse aux hommes comme un hommage rendu à la poésie afin de rendre cette découverte du monde exceptionnelle. Le lecteur est ainsi plongé dans un monde recrée par l'artiste.
- - Comment le poète se perçoit-il dans le temps?
- Le poète se perçoit comme appartenant au passé, il s'adresse aux hommes de demain
- - En quel sens pouvons-nous parler d'une expérience unique?
- L'expérience du poète est exceptionnelle car unique. La quête d'harmonie et de totalité du poète et du monde restera dans la mémoire des hommes celle d'un artiste rare et unique. Poésie de la postérité.
- - Pouvons-nous parler d'une intériorisation de l'univers dans le personnage du poète?
- - En quel sens?
- - Justifiez votre réponse en citant
- Les vers sont très nombreux, ils connotent l'intériorisation de l'univers, temps et espace par l'ingestion des villes successives dans le personnage du poète
- «Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers»
- - Relevez les références mythologiques
- Ixion = dans la mythologie grecque est un Lapithe , un habitant du nord de la Thessalie.
- On a donc une référence à une mythologie plus parodique avec Ixion pour désigner le Nord, son industrie, sa modernité, strophe 7.
- - Relevez une métaphore
- Il y a une métaphore de la Bretagne :
- « ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
- se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille »
- - Relevez une énumération
- Strophe 6
- - Quel est le ton du poème?
- Le ton est surréaliste
- - Quelle est l'image de la religion catholique?
- Nous pouvons penser que les vers suivants évoquent l'image de la foi catholique:
- Aux doigts allongés nos mains les clochers
- Et nous t'apportons aussi cette souple raison
- Que le mystère clôt comme une porte la maison
- Ce mystère courtois de la galanterie
- Ce mystère fatal fatal d'une autre vie
- Double raison qui est au-delà de la beauté
- Et que la Grèce n'a pas connue ni l'Orient
- Double raison de la Bretagne où lame à lame
- L'océan châtre peu à peu l'ancien continent
« Les ponts », Illuminations
Rimbaud
Les Ponts
Arthur Rimbaud
Introduction
Nous allons étudier une poésie de Rimbaud intitulée « Les Ponts » tirée des Illuminations qui comprend trois poèmes dédiés à la ville. Londres est évoqué dans notre texte en particulier les ponts. On assiste à une véritable mise en scène théâtrale de cette ville. Nous verrons dans un premier temps la représentation de Londres puis le spectacle qu’elle suggère au lecteur.
I – La représentation picturale de Londres
1 – Un tableau
L’évocation visuelle de la ville domine. Le ciel semble être un fond en peinture avec les références aux couleurs pour le faire vivre et rendre mobile l’image de la ville : « Veste rouge », « gris de cristal », « rayon blanc ». Nous avons plusieurs occurrences de couleurs mais deux tons gris qui semblent s’opposer à la luminosité du cristal : « gris de cristal ». Le gris renforce l’idée de ciels brouillés qui n’est pas sans nous rappeler ceux de Baudelaire. La mobilité et la vie de Londres transparaissent à travers un jeu de lignes très fortement suggéré.
2 – Les lignes
Nous avons une véritable analyse de lignes verticales et horizontales, « droit », « figure », « bombés », « obliquant », « angles » avec la terminologie géométrique qui s’y rapporte. Cette impression se renforce avec la multiplicité des ponts aux vers 2, 3, et 4. Ils sont tel un dessin quasi irréel car presque aériens, comme s’ils surplombaient la ville : « longs et légers », « frêles parapets ».
II – La représentation musicale de Londres
1 – Une comédie musicale
Nous passons du tableau au spectacle musical mis en scène car le mouvement s’associe à la musique avec les accords fondamentaux pour structurer l’ensemble. Ces accords apparaissent comme une transition avec l’idée de correspondances entre le dessin et la musique, la vue et l’ouïe. Nus évoquerons pour l’analyse de ces synesthésies, Charles Baudelaire qui mieux que personne à fait se correspondre les sens. Une autre idée caractérise cette comédie musicale et s’articule autour de la notion de polysémie. Rimbaud nous fait apparaitre les ponts avec des « cordes » au sens de câbles de maintien puis suggère également l’idée de cordes connotée dans les instruments à cordes.
2 – Une parade
Nous assistons à une véritable parade dans laquelle les sensations visuelles et auditives se répondent. Mais bientôt, cette fanfare animée s’estompe. C’est la chute du texte « tombe et anéantit ».
Le poète apparait comme un démiurge, il semble créer et recréer la réalité à sa guise : « le haut du ciel » connotant Dieu, l’intervention divine, cela confirme l’idée du poète créateur et magicien. Nous avons une conception assez philosophique de l’artiste, le poète créateur est en fait celui qui recrée le monde existant. Cela justifie d’un point de vue philosophique, la définition de l’art au sens d’une production recréée.
Conclusion
Cette poésie est représentative des Illuminations. On assiste à une véritable mise en scène théâtrale, musicale et picturale de la ville de Londres. Nous sommes assez proches du fantastique, voire du féerique malgré le sujet essentiel, « Les Ponts ».
Date de dernière mise à jour : 17/05/2019