« Aujourd'hui, maman est morte. »
6 -
De quelle nature la narration de Meursault est-elle?
Il fait le plus souvent l'inventaire de ses actes et de ses désirs du moment, la narration s'apparente en ce sens à celle d'un journal intime. Il n'y a pas d'analyse de ses pensées ou de ses actes dans la première partie du roman. Elle change dans la seconde partie et ressemble davantage à un récit qu'à un journal intime
7 -
Est-il représentatif de l'homme absurde du Mythe de Sisyphe? Meursault est-il un héros absurde?
Oui, il est représentatif de l'homme absurde du Mythe de Sisyphe. Inspiré par la mythologie grecque, Camus fait le rapprochement entre la vie comme un éternel recommencement obéissant à l'absurde, et Sisyphe, héros de la mythologie grecque. Le héros absurde fait face à l'absurdité de la vie. Le héros absurde est un archétype de l'absurdité Camus entend montrer que la révolte est le seul moyen de vivre sa vie dans un monde absurde
Le fait de « vivre le supplice de Sisyphe » signifie que l’on vit une situation absurde répétitive dont on ne voit jamais la fin ou l’aboutissement.
8-
Meursault est-il déshumanisé?
Oui, le lecteur ne connaît ni son prénom et son nom l'apparente à un personnage secondaire car il est peu employé tout au long du roman.
9 -
Camus a t'-il transposé sur un plan romanesque la dimension absurde du Mythe de Sisyphe? Justifiez votre réponse
Oui on peut parler d'une transposition de la théorie du Mythe de Sisyphe sur le plan romanesque; Camus cherche à montrer que l'existence n'a pas de sens et que l'homme est victime d'une sorte de fatalité. C'est pourquoi dans L'Etranger, les évènements s'enchaînent et Meursault en fait une sorte d'inventaire sans analyse et sans s'investir.
10 -
Quel épisode de l'Etranger nous montre que Meursault est le jouet de la fatalité?
L'épisode où il tue l'arabe mais il n'est pas pour autant présenter comme un meurtrier. C'est un simple jouet du soleil et de la lumière qui le pousse à tuer. La situation est d'autant plus tragique qu'il n'a pas son destin en mains, cela renforce la dimension tragique. Les responsables indirects seraient la lumière et le soleil qui sont omniprésents dans le roman de Camus.
11 -
Meursault devient-il l'homme révolté? Pourquoi ? Expliquez la pensée de Camus
Meursault devient l’homme révolté « Le contraire du suicidé, écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe, c’est le condamné à mort », car le suicidé renonce, alors que le condamné se révolte.
Refusant le suicide, Camus propose trois genres :
- Le héros absurde fait face à l'absurdité de la vie comme Don Juan en recherchant toujours cette première passion de femme en femme.
- Le suicidaire qui renonce
- Le croyant qui cherche un sens à la vie hors de la vie elle-même
la révolte est le seul moyen de vivre sa vie dans un monde absurde = solution proposée par Camus.
« Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort — et je refuse le suicide. » Camus
12 - Le procès : la découverte de l'absurde
A quel moment, Meursault découvre t'-il l'absurde? Quand est-il lucide?
Au départ, Meursault vit sa vie comme un éternel recommencement sans se poser de questions dans la plus grande indifférence. Il n'a aucune conscience de l'absurde et reste prisonnier de son meurtre.
Meursault découvre l'absurdité de son rapport au monde au moment du procès. Il s'élève à la lucidité du sort de l'existence humaine, il se rend compte qu'il est condamné à mort, il rejette l'hypothèse religieuse, l'idée d'un Dieu qui guiderait l'homme. A ce moment, le héros est seul face à son destin, il n'a plus d'espoir et il est lucide de « cette confrontation entre l'appel humain (le désir de vie) et le silence déraisonnable du monde (ce que Meursault appelle "la tendre indifférence du monde" ) » (Camus). « je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. ... ». L'absurde au moment du procès, Meursault en a conscience et à la fin du roman, cette lucidité l'enfermera dans la plus grande des solitudes. Le monde absurde c'est le monde quotidien mais déchargé de sa signification, débarassé de ses conventions, codes et lois. Il se différencie, vit son indifférence et devient une menace pour les valeurs du monde quotidien et pour autrui

TEXTE
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.» Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : "Ce n'est pas de ma faute." II n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
L’incipit: Du début à « officielle. »
Problématiques possibles:
- En quoi cet incipit est-il original, atypique et décontenancant?
- En quoi ce début dévoile à la fois le titre de l’œuvre et l’œuvre elle-même ?
- Cet incipit est-il en rupture avec les codes traditionnels du roman?
Questionnaire sur l'incipit
Un incipit original et atypique et décontenancant
- Où l'action se déroule t'-elle?
A Alger. Les descriptions sont explicites "Marengo"
- Quelle indication temporelle avons-nous?
Nous savons que la scène se passe à Alger à quelques heures d'autobus de l'endroit de "Marengo". C'est la seule indication temporelle dont le lecteur dispose dans ce passage.
- Comment le temps est-il peçu et traité dans l'incipit?
Il n'y a pas vraiment de temps qui s'étire, l'histoire se situe au moment de l'enterrement, pas d'avant et l'après, l'avenir se limite au lendemain. Le récit est chronologique, l'incipit ressemble à un journal intime dans lequel Meursaut raconte les faits les uns après les autres.
- Relevez les verbes qui montrent que le récit est factuel
« je prendrai», « j’arriverai », « je rentrerai » sont les verbes d'action essentiels qui forment le récit de manière chronologique tel un journal intime et le futur souligne le détachement du narrateur
- Relevez les indications temporelles
A deux heures, dans l’après midi et demain soir = Prolepse = il annonce les faits à venir
- Relevez une expression au style direct qui traduit le désir de Meursault de ne pas contrarier son patron
« Ce n’est pas ma faute »
- Quels sont les autres temps du récit?
Les temps utilisés sont l'imparfait et le passé composé, temps qui se situent par rapport au temps du personnage, c’est-à-dire au temps de l’énonciation.
Nous sommes dans le présent du narrateur ce qui permet l'adéquation du lecteur et du narrateur
Un personnage principal étrange : un narrateur atypique
- Quelle phrase résume le sujet du roman et son style?
« Aujourd’hui, maman est morte ». Cette phrase met en avant la lecture du télégramme de manière froide et concise. Cela met en avant le détachement du narrateur.
- Qui est le narrateur? Comment se manifeste t'-il?
Premièrement, le narrateur, qui est aussi le personnage principal, est vide, sans émotion même après la mort de sa mère. Le narrateur de ce récit étant interne, le lecteur s’attend à des sentiments de sa part une intériorité qui sont absents. « Ou peut être hier, je ne sais pas » (l. 1) après l’annonce de la mort de sa mère
- Quelle autre phrase du texte montre encore le détachement du narrateur?
« Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. »
C'est une tournure impersonnelle qui souligne son détachement, la mère décédée n'est pas nommée mais juste sous-entendue. Aucune émotion n'est traduite ainsi que le suggère l'euphémisme "tout" qui résume l'enterrement.
- Dans quel passage du texte, avons-nous le signe que Meursault n'a aucune conscience de la disparition de sa mère, ni aucune manifestation émotionnelle?
« Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte »
Il n'y a aucun champ lexical de l'affectif, aucune connotation pathétique et l'expression "affaire classée" choque le lecteur car le vocabulaire juridique remplace les émotions du personnage toujours indifférent.
- Montrez que le personnage s'apparente davantage à un automate qu'à une personne
Ensuite, il fait preuve d’une organisation et d’une planification extrêmement méthodique, telle qu’elle ne parait pas possible pour un homme surtout qu'il vient de perdre sa mère. Directement après l’annonce de sa mort, il fait des projets. On remarque en effet une utilisation de verbes au futur comme « j’arriverai » « je pourrai » « il le fera » « il me verra » « ce sera » ainsi que des phrases courtes qui s’enchainent comme des ordres à effectuer et sans liaison : c’est une asyndète. « Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit ‘ce n’est pas de ma faute’. Il n’a pas répondu. »
- Montrez que le narrateur est atypique
Meursault adopte une focalisation interne, usage du pronom personnel de la première personne, il se fait témoin de l'histoire en racontant les faits de manière chronologique. Il se dévoile très peu si ce n'est dans la phrase suivante : « J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû dire cela » : elle marque le regret du personnage à travers l'adverbe de temps "alors". Le lecteur comprend que le récit est rétrospectif.
- La mort de la mère de Meursault marque t'-elle une étape important dans la vie du personnage et dans la suite de l'histoire?
Oui la perte de la mère correspond au passage de l'enfant à l'âge adulte. La liaison avec Marie justifie ce passage essentiel entre deux âges chez Meursault.
Rupture avec les codes traditionnels du roman
- Comment le discours se traduit-il dans l'incipit?
Les phrases sont simples, le discours est à peine construit, nous pouvons relever certaines notes "cela ne veut rien dire", "toujours à cause de l'habitude", "c'était vrai". Nous n'avons pas de longues phrases, ,élaborées d'un point de vue grammatical comme c'est souvent le cas dans les romans traditionnels. On pourrait presque parler d'oralité du discours. Les faits sont relatés comme dans un journal intime sans liaisons apparentes : « l’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. »
- Quel est le degré de conscience du héros?
Nous n'avons pas vraiment de degré de conscience chez le héros, son implication est neutre, il n'a pas d'intériorité comme dans les romans traditionnels. Il reste neutre et s'exprime sur le même ton
- La narration est-elle caractéristique du roman traditionnel?
Non, la narration est privée d'ellipses, de prolepses et se trouve limitée à sa plus simple écriture.
- En quoi la conception du temps est-elle déconcertante?
Elle est déconcertante car on peut parler d'un isolement du temps présent, le présent de l'indicatif est dominant chez le narrateur. Nous avons malgré tout trois autres temps , passé composé, imparfait et futur mais le narrateur semble enfermé dans le temps présent comme s'il ne pouvait se souvenir du passé et ne pouvait se projeter dans l'avenir. Il reste cantonné dans les "deux jours" de congé après l'enterrement. Il ne va pas plus loin dans le temps. Le temps est réduit d'un point de vue linéaire.
- La narration est-elle logique?
Les actions sont souvent sans rapport, les connecteurs logiques sont utilisés de manière un peu déconcertante. Le raisonnement de Meursault qui cherche à ne pas contrarier son patron est surprenant : « en somme, je n’avais pas a m’excuser », ou encore « pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte », puis "une affaire classée". On peut aussi citer : « Elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile. Toujours à cause de l’habitude. C’est un peu pour cela que dans la dernière année je n’y suis presque plus allé ».
- Quelle place l'incipit accorde t'-il aux descriptions?
La mère n'est pas décrite, aucun personnage ne fait l'objet de descriptions.
Le patron, Céleste, Emmanuel, Le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples prénoms ou fonction : « C’était un petit vieux », « il m’a regardé de ses yeux clairs ».
Meursault, un héros ou un antihéros?
- Un personnage qui décontenance le lecteur : il reste indifférent même à la mort de sa mère, il n'exprime aucun sentiment, ne traduit aucune émotion. Les trois premières phrases nous renseignent sur le désir de précision du narrateur qui s'auto-corrige. Puis tout s'enchaîne de manière très automatique : « je prendrai l’autobus », « j’ai demandé deux jours de congé ». Meursault n'est pas boulversé et cherche une justification à ces deux jours de congés : « il ne pouvait pas me les refuser, avec une excuse pareille ».
- Quelles sont les valeurs accordées à Meursault? Sont-elles celles d'un héros traditionnel?
Les caractéristiques de Meursault ne sont pas celles d'un héros traditionnel, il ne se dévoile pas comme un homme courageux, brave, sensible mais fort, sa neutralité domine et on ne peut pour ces raisons lui refuser une certaine lucidité. Il offre un regard lucide sur son quotidien raconté. Il se dévoile en outre comme un héros enfantin avec l'emploi du terme "maman" au lieu de mère. L'expression "ce n'est pas ma faute" traduit une certaine culpabilité du personnage qui laisse transparaitre une faiblesse, on le remarque également avec la phrase "je n'avais pas à m'excuser".
Travailler l'ouverture :
En quoi cet incipit est-il annonciateur du procès de Meursault?