Maupassant, Pierre et Jean, Ch.4
Pierre et Jean, chapitre IV, Maupassant Commentaire bac : séquence roman
Lecture du texte : Certes, elle avait pu aimer, comme une autre! Car pourquoi serait-elle différente d’une autre, bien qu’elle fût sa mère? Elle avait été jeune, avec toutes les défaillances poétiques qui troublent le cœur des jeunes être! Enfermée, emprisonnée dans la boutique à côté d’un mari vulgaire et parlant toujours commerce, elle avait rêvé de clairs de lune, de voyages, de baisers donnés dans l’ombre des soirs. Et puis un homme, un jour, était entré comme entrent les amoureux dans les livres, et il avait parlé comme eux. Elle l’avait aimé. Pourquoi pas? C’était sa mère! Eh bien! Fallait-il être aveugle et stupide au point de rejeter l’évidence parce qu’il s’agissait de sa mère? S’était-elle donnée?… Mais oui, puisque cet homme n’avait pas eu d’autre amie; -mais oui, puisqu’il était resté fidèle à la femme éloignée et vieillie, - mais oui, puisqu’il avait laissé toute sa fortune à son fils, à leur fils!… Et Pierre se leva, frémissant d’une telle fureur qu’il eût voulu tuer quelque un Son bras tendu, sa main grande ouverte avaient envie de frapper, de meurtrir, de broyer d’étrangler! Qui? Tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère!
LECTURE ANALYTIQUE Introduction Nous allons étudier un extrait de Pierre et Jean de Guy de Maupassant. Notre texte est tiré du chapitre IV en date de 1888. L'histoire de Pierre et Jean relate l'histoire de deux frères dont l'un reçoit un héritage de Léon Maréchal en conséquence de quoi, Pierre va se convaincre que son frère Jean est son en réalité son fils. Les doutes sont tels qu'il va s'en prendre à sa mère à qui il va en vouloir et qu'il va soupçonner d'avoir été infidèle au point de mettre de la distance avec sa famille. Dans notre extrait, nous assistons à l'évolution des tourments de notre personnage toujours inquiété par cet héritage. Sa préoccupation essentielle est d'éclaircir les vrais rapports qui unissent sa mère et Léon Maréchal. Il est à présent seul face aux autres. L'enjeu est de mettre en avant ce véritable combat intérieur et la violence de Pierre s'enfoncer dans une jalousie excessive le mettant en proie à ses sentiments oedipiens dans une violence passionnelle. Il est victime de ses pulsions de mort contre ce couple qu'il jalouse.
Annonce du plan : Dans le but de répondre à la question : en quoi cet extrait reflète t'-il la violence passionnelle, les contradictions et la complexité de Pierre, nous verrons dans un premier temps, le combat intérieur avec les questionnements de Piere et l'évolution et la progression du débat intérieur. En second lieu, dans le cadre de l'étude de la violence, de la jalousie et des pulsions de mort de Pierre, nous insisterons sur l'idée de violence pathologique et de comportement oedipien.
Problématique : En quoi cet extrait reflète t'-il la violence passionnelle, les contradictions et la complexité de Pierre?
Analyse de l'extrait :
I - Un combat intérieur : 1 - Les questionnements de Pierre Pierre se heurte à lui-même, son conflit est intérieur. Notre personnage est seul face à lui-même et pourtant ses questionnements s'apparentent à une sorte de dialogue dominé par le discours direct. L'angoisse et les préoccupations de notre personnage se traduisent par une suite de questions et d'interrogations directes. Pour illustrer nos propos, nous citerons les suivantes : « pourquoi serait-elle différente? », « pourquoi pas? », « fallait-il être aveugle? », « s’était-elle donnée? », « qui? »..... Les adjectifs très présents renforcent l'impression de dialogue et de combat intérieur conflictuel. Nous retrouvons le champ lexical de l'enfermement sous forme de série de termes doubles, "enfermée, emprisonnée" ou encore autre série, "aveugle et stupide". Le redoublement est propre au questionnement très animé et très vivant de Pierre, sans cesse en proie à ses tourments intérieurs et avide de vérité. 2 - Evolution et progression du "débat intérieur" Le combat intérieur s'apparente à un véritable dialogue où les questionnements divers sur le même sujet s'enchaînent dévoilant l'état d'esprit tourmenté de notre héros. Ce conflit évolue et la forme de sa progression ressemble à un débat intérieur. Les différentes étapes de l'évolution sont exposées sous forme de paragraphes, cinq paragrahes qui marquent tour à tour la gradation ascendante des tourments et doutes de Pierre. Tout d'abord, la mère est assimilée à la femme puis généralisée aux femmes estimées semblables les unes aux autres par leur façon d'aimer : "Certes, elle avait pu aimer, comme une autre! Car pourquoi serait-elle différente d’une autre, bien qu’elle fût sa mère?" La comparaison est réductrice, le regard que le héros porte sur les femmes ne semble pas très flatteur. Madame Roland est donc banalisée à une femme est non pas respectée en tant que mère. L'interrogation met encore en avant cet aspect important pour la suite du débat intérieur. Dans le second, il revient sur le jeune âge de sa mère lorsque l’évènement s’est produit, « elle avait été jeune », « le cœur de jeunes êtres ». Il semble à ce moment de la réflexion que Pierre reconnaisse à sa mère le droit de rêver, de s'évader du quotidien de la vie conjuguale ennuyeuse pour l'aventure avec un autre. L'expression, "défaillances poétiques" et le champ lexical de l'évasion et du rêve "rêvé de clairs de lune, de voyages, de baisers", "comme entrent les amoureux dans les livres, et il avait parlé comme eux" contrastent avec celui du quotidien et du mariage, "Enfermée, emprisonnée dans la boutique à côté d’un mari vulgaire et parlant toujours commerce". Nous avons ainsi l'impression qu'il donne raison à sa mère de s'être évadée de la maison pour une histoire pleine de risques et de nouvelles aventures. Les illusions de la mère sont encouragées par le fils à cet instant et qualifiées de défaillances poétiques : le droit au rêve. Dès le troisième, la colère se substitue à l’indulgence, le mouvement du texte s’inverse et laisse place aux accusations; Une cassure se produit ainsi que le suggère la répétition des occurrences « sa mère ». "C’était sa mère! Eh bien! Fallait-il être aveugle et stupide au point de rejeter l’évidence parce qu’il s’agissait de sa mère?" Le quatrième paragraphe nous montre que Pierre tente de se convaincre, "mais oui" dont nous avons trois occurrences. "S’était-elle donnée?… Mais oui", la mère à commis l'irréparable faute, elle a cédé à cet homme, a été infidèle à son mari, a trompé sa famille et pire encore elle avait donné naissance à un garçon, leur garçon : "son fils, à leur fils!…"La jalousie est à son comble, Pierre ne supporte pas cette famille qui n'aurait jamais dû être et dont il ne fait pas partie. On peut imaginer à quel point il doit se sentir étranger comme fils et comme frère. Jean est le fils de Madame Roland, il n'est donc pas non plus son frère, ni un fils légitime mais seulement le fils de Madame Roland, fruit de l'adultère qui a en plus hérité de toute la fortune. On ressent le sentiment d'injustice et de trahison ressenti à cet instant par le héros meurtri dans son âme. La violence gagne en force dans le dernier paragraphe, « tuer », « qu’il eût voulu tuer quelqu' un". L'évolution de la jalousie et de la violence associée est à son comble et soulignée par la gradation : "frapper, meurtrir, broyer, étranger". Le champ lexical de la violence reflète l'état d'âme du personnage dominé par la haine traduite dans cette phrase : « qui? Tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère! » Transition : L'extrait va encore s'intensifier en terme de violence passionnelle. Nous allons voir que cette dernière se traduit de manière pathologique, le comportement devient oedipien.
II - Violence, jalousie et pulsions de mort 1 - Une violence pathologique La violence ensuite devient pathologique. Sa jalousie s'exprime avec fureur, il n'admet pas le constat de ses réflexions et les conséquences de la situation sont telles qu'il se sent rejeté, exclu, mal et le mal être évolue et s'intensifie au fur et à mesure du texte, la violence progresse. La jeunesse et les égarements qui lui sont propres au début du texte concernant Madame Roland ne sont plus d'actualité, il ne trouve plus d'excuses à sa mère malgré son jeune âge et sa situation difficile de femme mariée au moment des faits relatés. Au début de l'extrait, le rival de Pierre, Léon Maréchal ressemble à l'amoureux dans les livres, celui que les femmes rêvent d'approcher mais à présent, le héros ne relativise plus le contexte de l'époque. Les faits sont évalués à l'état brut et seule la colère à son paroxysme demeure et envahit Pierre. L'infidélité de sa mère ne peut plus être discutée, pardonnée, évaluée, comprise. La rage a remplacé toute compréhension, une rage si démentielle qu'elle s'accompagne d'un désir de meurtre. Le geste du héros trahit cette volonté de vengeance, "son bras tendu, sa main grande ouverte avaient envie de frapper". Le lecteur trouve dans cette affirmation de la colère, la traduction au niveau physique de sa haine intériorisée. L'intensité se trouve encore valorisée par les allitérations en "f" et en "r" : nous pouvons ainsi citer, "frapper", "meurtrir", "broyer", "étrangler", "fureur". La jalousie dont il fait preuve dans ce cas de figure précis, jalousie vis-à-vis de son frère, jalousie vis-à vis de Léon Maréchal et enfin vis-à-vis de sa mère rivalise avec celle d'un mari jaloux et pourtant il n'est que le fils et le frère trompé par sa famille, trahi par les siens. 2 - Un comportement oedipien Si nous nous référons à la mythologie, nous dirons qu'Oedipe a tué son père et une fois devenu roi a épousé sa mère. Dans le cadre de ce mythe, le garçon rejette le père pour se rapprocher de sa mère. Nous retrouvons la terminologie et l'explication de la psychanalyse. Si nous nous concentrons sur la fin du texte : Et Pierre se leva, frémissant d’une telle fureur qu’il eût voulu tuer quelque un Son bras tendu, sa main grande ouverte avaient envie de frapper, de meurtrir, de broyer d’étrangler! Qui? Tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère! " , nous voyons que Pierre souffre des sentiments contradictoires qui l'animent, l'amour, la haine. Ces derniers trahissent son comportement oedipien. Cela explique sa pulsion de mort dirigée contre la mère sur qui sont concentrés tous les reproches. Certes, il ne passe pas à l'acte mais nous pouvons affirmer que symboliquement parlant, donc du point de vue de la psychanalyse, il accomplit ce meurtre. Ce symbole de la mort se traduit dans le texte de manière très manifeste. En effet, de jeune et rêveuse au début du texte, Pierre fait apparaître sa mère comme "éloignée et vieillie", "un peu comme si elle était prôche de la mort". Concernant Léon Maréchal, la métonyme "la mort" traduit la pusion destructrice du héros. Nous dirons donc que d'un point de vue symbolique, Pierre assassine le couple qu'il jalouse.
Conclusion : Nous dirons que cet extrait traduit avec profondeur les contradictions d'un personnage fort complexe et la nature humaine dans ce qu'elle a de plus inaccessible. La complexité du héros se traduit dans la progression de son débat intérieur. Maupassant jette un regard lucide sur l'ambivalence et la duplicité de la nature humaine, il fait de son héros le porte parole de l'Homme en proie à ses démons intérieurs.
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Date de dernière mise à jour : 17/05/2019