Verlaine, Soleils couchants

 

 

Les soleils couchants, Paysages tristes, les poèmes saturniens

 

 

Verlaine

 

Lecture du poème :

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À des grands soleils
Couchants sur les grèves.
     

Première partie de l'entretien :    Analyse du poème :

Introduction :

Nous allons étudier une poésie de Verlaine en date de 1866, premier poème de la troisième section intitulée "Paysages tristes" des poèmes Saturniens. Le thème de la poésie est le triomphe du monde onirique face à la réalité, l'effacement progressif d'une conscience, nous pouvons parler en terme de mélancolie sublimée. Le spectacle est celui du soleil couchant qui suscite la rêverie en couleurs et fantasmée ainsi que le suggère le pluriel de soleils. Nous sommes loin de la réalité concrète et assistons au déroulement d'un rêve dont l'évolution peut surprendre le lecteur. La thématique est double puisqu'au rêve après le vers 8 s'ajoute le cauchemar jusqu'au vers 16. Le poète se voit progressivement envahi, submergé et dominé par la mélancolie dont il perd le contrôle et qu'il tente d'exorciser.

Problématique : En quoi l'univers onirique triomphe t'-il de la réalité?

Formulation du plan :

Dans le but de répondre à notre problématique, nous verrons dans une première partie en quoi le paysage permet le glissement progressif vers la mélancolie ( du paysage harmonieux à la mélancolie sublimée), en second lieu nous nous pencherons sur l'annihilation de la conscience, (fascination, obsession et folie).

 

I - Glissement progressif vers la mélancolie

Du paysage harmonieux à la mélancolie sublimée

II - Annihilation de la conscience

Fascination, obsession et folie

 

Développement :

 

I - Glissement progressif vers la mélancolie

Dès le début du poème nous avons du fait de l'absence de ponctuation, du rythme et des sonorités, l'impression d'une berceuse. L'atmosphère est fluide et changeante ainsi que le suggèrent les deux premiers vers :

Une aube affaiblie

Verse par les champs

La lumière est paradoxalement assimilée au liquide, "verse" qui envahit le paysage et s'étend jusqu'à l'horizon. Elle prend possession de l'espace et se déverse. Le poème est formé de peu phrases qui nous plongent et renforcent encore le climat de confiance et d'harmonie propre au sommeil. Le parallélisme de construction entre les deux phrases et la construction grammaticale classique des huit premiers vers font écho à ce schéma d'ensemble construit sur le jeu des homophonies, le son "an" berce le lecteur, "champs", "mélancolie", "couchants", "chants" et le retour à la rime.

La structure de l'ensemble est fluide, coulante, agréable et dès le vers 3, nous avons une mise en avant du sentiment :

La mélancolie

Un pentasyllabe qui contribue à cette valorisation, il est suivi d'une antéposition «mélancolie» annoncée après le vers 3 et favorise ainsi le glissement du paysage au sentiment. La mélancolie s'associe avec le son mélodique rendu par les allitérations en «L» et sert en outre de transition entre les quatre premiers vers et les quatre suivants. L'aube se confond dès lors avec la mélancolie et la femme. Nous avons une double métaphore et une impression de continuité. Les sens sont en éveil, la vue dans les quatre premiers vers et l'ouie dans les suivants. Verlaine cultive l'esthétique du flou par la comparaison, il y a une dissolution de la temporalité et seule progressivement la mélancolie subsiste. Le paysage est harmonieux et décrit dès le premier vers l'aube dans son opposition aux «soleils couchants» . Nous avons une confusion volontaire entre le soir et le matin qui correspond à l'état d'esprit rêveur du poète. L'atmosphère est tout à la rêverie et de ce paysage sublimé, les éléments naissent et se mélangent, le ciel, l'aube, la terre avec les champs, la lumière affaiblie, l'eau avec le verbe verser. La confusion et l'impression de flou sont totales et la femme émerge de ces éléments avec l'aube consolatrice et les champs, féconds. Les connotations sont nombreuses et le symbolisme important. On voit que l'aube affaiblie est en réalité une métaphore de la femme, une allégorie qui en abondance «verse», vers 2, l'allusion à la fertilité est évidente. La femme et paysage auquel elle est associée permettent et favorisent le jeu des symboles.

Transition :

Le glissement progressif vers la mélancolie passe par les stades de la fascination, de l'obsession jusqu'à la folie. L'univers onirique envahit et se substitue à la réalité. On peut parler d'annihilation de la conscience

II - Annihilation de la conscience

Fascination, obsession et folie

Le paysage fait place à la mélancolie envahissante vers 3 et vers 5, la mélancolie est réccurrente.

«La mélancolie».

La vision se subjectivise, le lecteur partage les sentiments du poète. Au vers 6, la mélancolie se transforme en «doux chant», la tristesse devient source d'apaisement

«Berce de doux chants

Mon coeur qui s'oublie»

Le possessif transcrit le lyrisme discret et la vision subjectivisée du poète

«Mon coeur qui s'oublie

Aux soleils couchants»

Les trois reccurrences de «Soleils couchants» nous font penser à un refrain qui rythmerait la rêverie de Verlaine à l'image d'une berceuse qui favoriserait l'éclosion d'un monde nouveau, d'un univers fantasmagorique ou les repères ne seraient plus ceux de la réalité concrète mais seulement les symboles d'une vie rêvée. Le champ lexical du rêve, vers 9 s'associe avec les effets visuels grâce à la succession des images.

«Et d'étranges rêves

Comme des soleils

Couchants sur les grèves»

On note la progression par rapport au début de la poésie, les rêves font l'objet d'une comparaison avec les soleils toujours au pluriel, les éléments ne sont plus juxtaposés, les soleils sont à présent perçus en référence à l'homme, aux rêves, puis des rêves aux cauchemars avec le vers 12 par exemple, «fantômes vermeils» qui associent les visions oniriques à des images devenues obsédantes. L'ambiance devient angoissante et confuse. Le paysage qui était tout d'abord statique devient dynamique, «défilent», vers 13. Nous sommes prôches de l'hallucination. Cela peut donner une impression de vertige, d'éclatement du réel. Le vers 14 nous suggère une multiplicité de soleils :

« A de grands soleils»

Les rêves s'apparentent à un défilé de fantômes vermeils et le caractère morbide va de pair avec une perte d'identité. L'image du soleil couchant obsède le poète de manière de plus en plus maléfique et morbide. Le rêve devient cauchemar, le poète perd la conscience de son existence et, pourrait-on dire, la mort du jour ressemble à la mort de sa propre lucidité. La confusion mentale est à son paroxysme. La vision des soleils couchants devient obsessionnelle traduisant ainsi l'impuissance du poète. L'idée de mort connotée par la couleur rouge du sang accentue l'aspect morbide. Le spectre rouge de la mort approche et avec lui, la mort.

 

CONCLUSION

Cette poésie traduit le triomphe du monde du rêve sur la réalité; L'effacement de la conscience est progressif, l'univers onirique domine et la mélancolie est sublimée.

Ouverture

Au-delà de l'interprétation possible de la poésie de Verlaine, l'écriture poétique remplit ici une fonction cathartique, libératrice car les mots libèrent des maux.

Nous retrouvons ce même effort de libération de l'angoisse chez Baudelaire qui tente d'exorciser son spleen pour approcher l'Idéal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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