Séquence bac, la culture, le langage avec Platon, Rousseau, Hegel, Rousseau, Nietzsche, Saussure et Merleau Ponty
- Le 28/01/2019
- Dans Le manuel de philosophie. Les textes du bac
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La terminologie linguistique déjà constituée dans le Gorgias de Platon. La culture, le langage
LE LANGAGE
SOCRATE Eh bien, maintenant, Gorgias, à ton tour. La rhétorique est justement un des arts qui accomplissent et achèvent leur tâche uniquement au moyen de discours, n'est-il pas vrai ? GORGIAS C'est vrai. SOCRATE Dis-moi donc à présent sur quoi portent ces discours. Quelle est, entre toutes les choses de ce monde, celle dont traitent ces discours propres à la rhétorique ? GORGIAS Ce sont les plus grandes de toutes les affaires humaines, Socrate, et les meilleures. SOCRATE Mais, Gorgias, ce que tu dis là est sujet à discussion et n'offre encore aucune précision. Tu as sans doute entendu chanter dans les banquets cette chanson qui, dans l'énumération des biens, dit que le meilleur est la santé, que le second est la beauté et que le troisième est, selon l'expression de l'auteur de la chanson, la richesse acquise sans fraude. GORGIAS Je l'ai entendue en effet, mais où veux-tu en venir ? SOCRATE C'est que tu pourrais bien être assailli tout de suite par les artisans de ces biens vantés par l'auteur de la chanson, le médecin, le pédotribe et le financier, et que le médecin le premier pourrait me dire : « Socrate, Gorgias te trompe. Ce n'est pas son art qui a pour objet le plus grand bien de l'humanité, c'est le mien. » Et si je lui demandais : « Qui es-tu, toi, pour parler de la sorte ? » il me répondrait sans doute qu'il est médecin. — « Que prétends-tu donc ? Que le produit de ton art est le plus grand des biens ? » il me répondrait sans doute : « Comment le contester, Socrate, puisque c'est la santé ? Y a-t-il pour les hommes un bien plus grand que la santé ? » Et si, après le médecin, le pédotribe à son tour me disait : « Je serais, ma foi, bien surpris, moi aussi, Socrate, que Gorgias pût te montrer de son art un bien plus grand que moi du mien », je lui répondrais à lui aussi : « Qui es-tu aussi, l'ami, et quel est ton ouvrage ? — Je suis pédotribe, dirait-il, et mon ouvrage, c'est de rendre les hommes beaux et robustes de corps. » Après le pédotribe, ce serait, je pense, le financier qui me dirait, avec un souverain mépris pour tous les autres : « Vois donc, Socrate, si tu peux découvrir un bien plus grand que la richesse, soit chez Gorgias, soit chez tout autre. — Quoi donc ! lui dirions-nous. Es-tu, toi, fabricant de richesse ? — Oui. — En quelle qualité ? — En qualité de financier. — Et alors, dirions-nous, tu juges, toi, que la richesse est pour les hommes le plus grand des biens ? — Sans contredit, dirait-il. — Voici pourtant Gorgias, répondrions-nous, qui proteste que son art produit un plus grand bien que le tien. » Il est clair qu'après cela il demanderait : « Et quel est ce bien ? Que Gorgias s'explique ». Allons, Gorgias, figure-toi qu'eux et moi, nous te posons cette question. Dis-nous quelle est cette chose que tu prétends être pour les hommes le plus grand des biens et que tu te vantes de produire. GORGIAS C'est celle qui est réellement le bien suprême, Socrate, qui fait que les hommes sont libres eux-mêmes et en même temps qu'ils commandent aux autres dans leurs cités respectives. SOCRATE Que veux-tu donc dire par là ? GORGIAS Je veux dire le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les citoyens dans l'assemblée du peuple et dans toute autre réunion qui soit une réunion de citoyens. Avec ce pouvoir, tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe et, quant au fameux financier, on reconnaîtra que ce n'est pas pour lui qu'il amasse de l'argent, mais pour autrui, pour toi qui sais parler et persuader les foules.
Platon, Gorgias
Manuel de philosophie, culture, le langage. Les incontournables, Hegel, Nietzsche et Rousseau
Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n'indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole.
Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues
C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie.
Hegel, Philosophie de l’esprit (1817).
Tout mot devient immédiatement concept par le fait qu'il ne doit pas servir justement pour l'expérience originale, unique, absolument individualisée, à laquelle il doit sa naissance, c'est-à-dire comme souvenir, mais qu'il doit servir en même temps pour des expériences innombrables, plus ou moins analogues, c'est-à-dire, à strictement parler, jamais identiques et ne doit donc convenir qu'à des cas différents. Tout concept naît de l'identification du non identique. Aussi certainement qu'une feuille n'est jamais tout fait identique à une autre, aussi certainement le concept feuille a été formé grâce à l'abandon délibéré de ces différences individuelles, grâce à un oubli des caractéristiques, et il éveille alors la représentation comme s'il y avait dans la nature, en dehors des feuilles, quelque chose qui serait « la feuille », une sorte de forme originelle selon laquelle toutes les feuilles seraient tissées, dessinées, cernées, colorées, crêpées, peintes, mais par des mains malhabiles au point qu'aucun exemplaire n'aurait été réussi correctement et sûrement comme la copie fidèle de la forme originelle.
Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral
Textes de référence sur le thème du langage avec Merleau-Ponty, Sartre et Ferdinand de Saussure
En français, il y a deux genres - masculin-féminin - qui ne se comprennent que l'un par l'autre. Or, outre que ces deux genres désignent, en effet, les hommes et les femmes, ils désignent aussi, par suite d'une longue histoire, des objets qui en eux-mêmes ne sont ni masculins ni féminins mais neutres ; en ce cas, cette dichotomie sexuelle est dépourvue de signification conceptuelle. Elle devient désinformatrice quand elle va jusqu'à invertir les rôles, le féminin s'appliquant à l'homme et le masculin à la femme. Un des plus grands écrivains de ce temps, Jean Genet, aimait des phrases comme celle-ci : « les brûlantes amours de la sentinelle et du mannequin » ,« amour » est masculin au singulier et féminin au pluriel ; la sentinelle est un homme, le mannequin une femme. Cette phrase transmet, certes, une information : ce soldat et cette femme qui présente des collections de couturier s'aiment passionnément. Mais elle le transmet si bizarrement qu'elle est aussi déformatrice : l'homme est féminisé, la femme masculinisée ; disons qu'elle est rongée par une matérialité faussement informatrice. Pour tout dire, c'est une phrase d'écrivain où l'information est inventée pour que la pseudo-information soit plus riche.
Sartre, Plaidoyer pour les intellectuels
Le savant, l'observateur, voient le langage au passé. Ils considèrent la longue histoire d'une langue, avec tous les hasards, tous les glissements de sens qui finalement ont fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui. Résultat de tant d'accidents, il devient incompréhensible que la langue puisse signifier quoi que ce soit sans équivoque. Prenant le langage comme fait accompli, résidu d'actes de signification passés, enregistrement de significations déjà acquises, le savant manque inévitablement la clarté propre du parler, la fécondité de l'expression. Du point de vue phénoménologique, c'est-à-dire pour le sujet parlant qui use de sa langue comme d'un moyen de communication avec une communauté vivante, la langue retrouve son unité ; elle n'est plus le résultat d'un passé chaotique de faits linguistiques indépendants, mais un système dont tous les éléments concourent à un effort d'expression unique tourné vers le présent ou l'avenir, et donc gouverné par une logique actuelle.
Merleau-Ponty, Éloge de la philosophie
Nous appelons signe la combinaison du concept et de l'image acoustique : mais dans l'usage courant ce terme désigne généralement l'image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n'est qu'en tant qu'il porte le concept "arbre", de telle sorte que l'idée de la partie sensorielle implique celle du total. L'ambiguïté disparaîtrait si l'on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant(...) Le lien unifiant le signifiant et le signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire. Ainsi l'idée de "soeur" n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quel autre : à preuve les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes (...) Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité.
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Ed. Payot, 1964, pp. 98-101.
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