Textes de référence sur le thème du désir en philosophie. Désir et manque, immortalité, la figure d'Eros, désir et souffrance...
- Le 02/01/2019
- Dans Le manuel de philosophie. Les textes du bac
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LE DESIR
Quelques citations.
Il tourne dans le cercle étroit de ses plaisirs, comme un jeune chat jouant avec sa queue. »
Goethe, Faust, « La cave d’Auerbach à Leipzig »
« Les étoiles, on ne les désire pas. »
Goethe
« Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux, s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. »
La Rochefoucauld, Maximes, § 136
« Toutes les passions sont des désirs qui vont seulement d’humain à humain et non vers les choses. »
Kant, Anthropologie au point de vue pragmatique
Faim et amour :
Juste après l’instinct de nutrition, par lequel la nature conserve chaque individu, le plus important est l’instinct sexuel grâce auquel la nature pourvoit à la conservation de chaque espèce. » Kant « … "faim et amour" assurent la cohésion des rouages du monde. La faim pouvait être considérée comme représentant de ces pulsions qui veulent conserver l’être individuel, l’amour, lui, tend vers des objets ; sa fonction principale, favorisée de toutes les manières par la nature, est la conservation de l’espèce. »
(Freud, Malaise dans la culture, VI)
Raison et passions vont de pair :
[C]’est par l’activité [des passions] que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir, et il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner. Les passions, à leur tour, tirent leur origine de nos besoins, et leur progrès de nos connaissances ; car on ne peut désirer ou craindre les choses que sur les idées qu’on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la nature.
Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes
La volonté est commandement :
Un homme qui veut commande en lui-même à quelque chose qui obéit ou dont il se croit obéi. […] A son plaisir d’individu qui ordonne, le sujet voulant ajoute ainsi les sentiments de plaisir issus des instruments d’exécution que sont les diligentes « sous-volontés » ou sous-âmes, car notre corps n’est pas autre chose qu’un édifice d’âmes multiples. […] Dans tout acte volontaire on a toujours affaire à un ordre donné et reçu, ordre qui s’adresse […] à un édifice collectif d’âmes multiples.
Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 19
Le mimétisme des affects :
Du fait que nous imaginons qu’un objet semblable à nous […] est […] affecté d’un certain affect, nous sommes par là affectés d’un affect semblable. […] Cette imitation des affects s’appelle pitié quand elle concerne la tristesse ; mais si elle est relative au désir, elle s’appelle émulation, celle-ci n’étant donc rien d’autre que le désir d’une chose provoquée en nous par le fait que nous imaginons que d’autres êtres semblables à nous ont le même désir.
Spinoza, Ethique, III, 27
Le désir ne vise pas la conservation ou le bonheur, mais la puissance :
Vouloir se conserver soi-même est l’expression d’une situation de détresse, d’une restriction de la véritable pulsion fondamentale de la vie, qui tend à l’expansion de puissance et assez souvent, dans cette volonté, elle remet en cause et sacrifie la conservation de soi. Que l’on considère comme symptomatique que certains philosophes, comme par exemple le phtisique Spinoza, aient vu, aient 1 dû voir précisément dans la soi-disant pulsion de conservation de soi l’élément décisif : – c’étaient justement des hommes en situation de détresse. […] La lutte pour la vie n’est qu’une exception, une restriction momentanée de la volonté de vivre ; la grande et la petite lutte tournent partout autour de la prépondérance, de la croissance, du développement et de la puissance, conformément à la volonté de puissance qui est précisément volonté de vie.
Nietzsche, Le Gai savoir, § 349
Un être vivant veut avant tout déployer sa force.
La vie même est volonté de puissance, et l’instinct de conservation n’en est qu’une conséquence indirecte et des plus fréquentes. – Bref, ici comme partout, gardons-nous des principes téléologiques superflus, tels que l’instinct de conservation (nous le devons à l’inconséquence de Spinoza). […] Vivre, c’est essentiellement dépouiller, blesser, dominer ce qui est étranger et plus faible, l’opprimer, lui imposer durement sa propre forme, l’englober et au moins, au mieux, l’exploiter […]. Tout corps […] devra être une volonté de puissance, il voudra croître, s’étendre, accaparer, dominer, non pas par moralité ou immoralité, mais parce qu’il vit et que la vie est volonté de puissance.
Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 13 et § 259
Comment se fait-il que les articles de foi fondamentaux, en psychologie, sont tous la pire déformation et le plus odieux faux monnayage ? « L’homme aspire au bonheur », par exemple – qu’est-ce qui est vrai là-dedans ? Pour comprendre ce que c’est que la vie, quelle sorte d’aspiration et de tension exige la vie, la formule doit s’appliquer aussi bien à l’arbre et à la plante qu’à l’animal. « A quoi aspire la plante ? » – Mais là nous avons déjà imaginé une fausse unité qui n’existe pas. Le fait d’une croissance multiple, avec des initiatives propres et demi-propres, disparaît et est nié si nous supposons d’abord une unité grossière, « la plante ». Ce qui est visible avant tout, c’est que ces derniers « individus », infiniment petits, ne sont pas intelligibles dans le sens d’un « individu » métaphysique et d’un « atome », et que leur sphère de puissance se déplace sans cesse ; mais chacun de ces individus, s’il se transforme de la sorte, aspire-t-il au bonheur ? – Cependant toute tendance à s’étendre, toute incorporation, toute croissance, est une lutte contre quelque chose qui est accompagnée de sensations de déplaisir : ce qui est ici le motif agissant veut certainement autre chose en voulant le déplaisir et en le recherchant sans cesse. – Pourquoi les arbres d’une forêt vierge luttent-ils entre eux ? Pour le « bonheur » ? – Pour la puissance !… L’homme devenu maître des forces de la nature, l’homme devenu maître de sa propre sauvagerie et de ses instincts déchaînés (les désirs ont appris à obéir, à être utiles) – l’homme comparé à un pré-homme représente une énorme quantité de puissance – et non pas une augmentation de « bonheur ». Comment peut-on prétendre qu’il a aspiré au bonheur ?…
Nietzsche, La Volonté de puissance, § 305
Le désir d’immortalité :
DIOTIME : En définitive, Socrate, l’amour de ce qui est beau n’est pas tel que tu l’imagines. SOCRATE : Eh bien, qu’est-il donc ? – L’amour de la procréation et de l’accouchement dans de belles conditions. – Admettons que ce soit le cas. – C’est exactement cela. Mais pourquoi « de la procréation » ? Parce que, pour un être mortel, la génération équivaut à la perpétuation dans l’existence, c’est-à-dire à l’immortalité. Or le désir d’immortalité accompagne nécessairement celui du bien, d’après ce que nous sommes convenus, s’il est vrai que l’amour a pour objet la possession éternelle du bien. De cette argumentation, il ressort que l’amour a nécessairement pour objet aussi l’immortalité. […] [C]hez les êtres humains en tout cas, si tu prends la peine d’observer ce qu’il en est de la poursuite des honneurs, tu seras confondu par son absurdité, à moins de te remettre en l’esprit ce que je viens de dire, à la pensée du terrible état dans lequel la recherche de la renommée et le désir « de s’assurer pour l’éternité une gloire impérissable » mettent les êtres humains. Oui, pour atteindre ce but, ils sont prêts à prendre tous les risques, plus encore que pour défendre leurs enfants. Ils sont prêts à dilapider leurs richesses et à endurer toutes les peines, et même à donner leur vie. […] C’est […] pour que leur excellence reste immortelle et pour obtenir une telle renommée glorieuse que les êtres humains dans leur ensemble font tout ce qu’ils font, et cela d’autant plus que leurs qualités sont plus hautes. Car c’est l’immortalité qu’ils aiment. Cela dit, ceux qui sont féconds selon le corps se tournent de préférence vers les femmes ; et leur façon d’être amoureux, c’est de chercher, en engendrant des enfants, à s’assurer, s’imaginent-ils, l’immortalité, le souvenir et le bonheur, « pour la totalité du temps à venir ». Il y a encore ceux qui sont féconds selon l’âme ; oui, il en est qui sont plus féconds dans leur âme que dans leur corps […]. Dans cette classe, il faut ranger tous les poètes qui sont des procréateurs et tous les artisans qu’on qualifie d’inventeurs. Mais la partie la plus haute et la plus belle de la pensée, c’est celle qui concerne l’ordonnance des cités et des domaines ; on lui donne le nom de modération et de justice.
Platon, Le Banquet, 206e – 207a et 208c – 209a
Le désir d’éternité :
Mais tout plaisir (désir) veut l’éternité
Veut la profonde, profonde éternité !
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, IV, La chanson ivre, 12
Le désir est manque :
SOCRATE : Tout ce que je veux savoir, c’est si Eros éprouve ou non le désir de ce dont il est amour. AGATHON : Assurément, il en éprouve le désir. – Est-ce le fait de posséder ce qu’il désire et ce qu’il aime qui fait qu’il le désire et qu’il l’aime, ou le fait de ne pas le posséder ? – Le fait de ne pas le posséder, cela du moins est vraisemblable. – Examine donc si au lieu d’une vraisemblance il ne s’agit pas d’une nécessité : il y a désir de ce qui manque, et il n’y a pas désir de ce qui ne manque pas ? Il me semble à moi, Agathon, que cela est une nécessité qui crève les yeux ; que t’en semble-t-il ? – C’est bien ce qu’il me semble. – Tu dis vrai. Est-ce qu’un homme qui est grand souhaiterait être grand, est-ce qu’un homme qui est fort souhaiterait être fort ? – C’est impossible, suivant ce que nous venons d’admettre. – Cet homme ne saurait manquer de ces qualités, puisqu’il les possède. – Tu dis vrai. – Supposons en effet qu’un homme qui est fort souhaite être fort, qu’un homme qui est rapide souhaite être rapide, qu’un homme qui est en bonne santé souhaite être en bonne santé, car quelqu’un estimerait peut-être que, en ce qui concerne ces qualités et toutes celles qui ressortissent au même genre, les hommes qui sont tels et qui possèdent ces qualités, désirent encore les qualités qu’ils possèdent. C’est pour éviter de tomber dans cette erreur que je m’exprime comme je le fais. Si tu considères, Agathon, le cas de ces gens-là, il est forcé qu’ils possèdent présentement les qualités qu’ils possèdent, qu’ils le souhaitent ou non. En tout cas, on ne saurait désirer ce que précisément on possède. Mais supposons que quelqu’un nous dise : « Moi, qui suis en bonne santé, je n’en souhaite pas moins être en bonne santé, moi, qui suis riche, je n’en souhaite pas moins être riche ; cela même que je possède, je ne désire pas moins le posséder. » Nous lui ferions cette réponse : « Toi, bonhomme, qui es doté de richesse, de santé et de force, c’est pour l’avenir que tu souhaites en être doté, puisque, présentement en tout cas, bon gré mal gré, tu possèdes tout cela. Ainsi, lorsque tu dis éprouver le désir de ce que tu possèdes à présent, demande-toi si ces mots ne veulent pas tout simplement dire ceci : "Ce que j’ai à présent, je souhaite aussi l’avoir dans l’avenir." » Il en conviendrait, n’est-ce pas ? […] Dans ces conditions, aimer ce dont on n’est pas encore pourvu et qu’on ne possède pas, n’est-ce pas souhaiter que, dans l’avenir, ces choses-là nous soient conservées et nous restent présentes ? – Assurément. – Aussi l’homme qui est dans ce cas, et quiconque éprouve le désir de quelque chose, désire ce dont il ne dispose pas et ce qui n’est pas présent ; et ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas lui-même, ce dont il manque, tel est le genre de choses vers quoi vont son désir et son amour.
Platon, Le Banquet, trad. Luc Brisson modifiée, 200a-200e
La figure d’Eros :
DIOTIME : Puis donc qu’il est le fils de Poros et de Pénia, Eros se trouve dans la condition que voici. D’abord, il est toujours pauvre, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau, comme le croient la plupart des gens. Au contraire, il est rude, malpropre, va-nu-pieds et il n’a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car, puisqu’il tient de sa mère, c’est l’indigence qu’il a en partage. A l’exemple de son père 2 en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en expédients , il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier redoutable, un magicien et un 3 expert. Il faut ajouter que par nature il n’est ni immortel ni mortel. En l’espace d’une même journée, tantôt il est en fleur, plein de vie, tantôt il est mourant ; puis il revient à la vie quand ses expédients réussissent en vertu de la nature qu’il tient de son père ; mais ce que lui procurent ses expédients sans cesse lui échappe ; aussi Eros n’est-il jamais ni dans l’indigence ni dans l’opulence . 4 Par ailleurs, il se trouve à mi-chemin entre le savoir et l’ignorance. Voici en effet ce qui en est. Aucun dieu ne tend vers le savoir ni ne désire devenir savant, car il l’est ; or, si l’on est savant, on n’a pas besoin de tendre vers le savoir. Les ignorants ne tendent pas davantage vers le savoir ni ne désirent devenir savants. Mais c’est justement ce qu’il y a de fâcheux dans l’ignorance : alors que l’on n’est ni beau ni bon ni savant, on croit l’être suffisamment. Non, celui qui ne s’imagine pas en être dépourvu ne désire pas ce dont il ne croit pas devoir être pourvu. SOCRATE : Qui donc, Diotime, sont ceux qui tendent vers le savoir, si ce ne sont ni les savants ni les ignorants ? DIOTIME : D’ores et déjà, il est parfaitement clair même pour un enfant que ce sont ceux qui se trouvent entre les deux, et qu’Eros doit être du nombre.
Platon, Le Banquet, 203c-20
Le désir nous élève vers la beauté et la spiritualité DIOTIME : Voilà donc quelle est la droite voie qu’il faut suivre dans le domaine des choses de l’amour ou sur laquelle il faut se laisser conduire par un autre : c’est, en prenant son point de départ dans les beautés d’ici-bas pour aller vers cette beauté-là, de s’élever toujours, comme au moyen d’échelons, en passant d’un seul beau corps à deux, de deux beaux corps à tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui n’est autre que la science du beau lui-même, dans le but de connaître finalement la beauté en soi.
Platon, Le Banquet, trad. Luc Brisson, 211b-211c
Le tonneau des Danaïdes :
SOCRATE : Considère si tu ne pourrais pas assimiler chacune des deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes, dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grands ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est-ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? CALLICLÈS : Je ne le suis pas, Socrate. L’homme aux tonneaux pleins n’a plus aucun plaisir, et c’est cela que j’appelais tout à l’heure vivre à la façon d’une pierre, puisque, quand il les a remplis, il n’a plus ni plaisir ni peine ; mais ce qui fait l’agrément de la vie, c’est d’y verser le plus qu’on peut. […] Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise : pour bien vivre, il faut entretenir en soi-même les plus fortes passions au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, il faut être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent. […] [L]e luxe, l’intempérance et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur.
Platon, Gorgias
Le désir est souffrance
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus, le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré.
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation
Le bonheur, c’est obtenir ce qu’on désire :
Un succès constant dans l’obtention de ces choses que, de temps en temps, l’on désire, autrement dit une constante prospérité, est appelé félicité. J’entends la félicité en cette vie. Car il n’y a rien qui ressemble à la béatitude perpétuelle de l’esprit, tant que nous vivons ici, parce que la vie n’est elle-même que le mouvement et ne peut être ni sans désir, ni sans crainte.
Hobbes, Léviathan, I, 6
Ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas
Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d’autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d’un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l’âme inquiète, tu t’en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de doit, que dépend d’autrui ce qui réellement dépend d’autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne pourra t’atteindre.
Epictète, Manuel
Accepter la nécessité Ne cherche pas à ce que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille que les événements arrivent comme ils arrivent, et tu seras heureux.
Epictète, Manuel
La sublimation
Une autre technique de défense contre la souffrance se sert des déplacements de libido qu’autorise notre appareil animique […]. La tâche qu’il faut résoudre est de situer ailleurs les buts pulsionnels, de telle sorte qu’ils ne puissent être atteints par le refus du monde extérieur. La sublimation des pulsions prête ici son aide. On obtient le maximum si l’on s’entend à élever suffisamment le gain de plaisir provenant des sources du travail psychique et intellectuel. Le destin a alors peu de prises sur nous.
Freud, Le Malaise dans la culture, II
Il faut sublimer le désir plutôt que le réprimer
Toutes les passions ont un temps où elles ne sont que néfastes, où elles avilissent leurs victimes avec la lourdeur de la bêtise, – et une époque tardive, beaucoup plus tardive où elles se marient à l’esprit, où elles se « spiritualisent ». Autrefois, à cause de la bêtise dans la passion, on faisait la guerre à la passion elle-même : on se conjurait pour l’anéantir, – tous les anciens jugements moraux sont d’accord sur ce point, « il faut tuer les passions ». La plus célèbre formule qui en ait été donnée se trouve dans le Nouveau Testament, dans ce Sermon sur la Montagne, où, soit dit en passant, les choses ne sont pas du tout vues d’une hauteur. Il y est dit par exemple avec application à la sexualité : « Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le » : heureusement qu’aucun chrétien n’agit selon ce précepte. Détruire les passions et les désirs, seulement à cause de leur bêtise, et pour prévenir les suites désagréables de leur bêtise, cela ne nous paraît être aujourd’hui qu’une forme aiguë de la bêtise. Nous n’admirons plus les dentistes qui arrachent les dents pour qu’elles ne fassent plus mal... On avouera d’autre part, avec quelque raison, que, sur le terrain où s’est développé le christianisme, l’idée d’une « spiritualisation de la passion » ne pouvait pas du tout être conçue. Car l’Eglise primitive luttait, comme on sait, contre les « intelligents », au bénéfice des « pauvres d’esprit » : comment pouvait-on attendre d’elle une guerre intelligente contre la passion ? – L’Eglise combat les passions par l’extirpation radicale : sa pratique, son traitement c’est le castratisme. Elle ne demande jamais : « Comment spiritualise-t-on, embellit-on et divinise-t-on un désir ? » – De tous temps elle a mis le poids de la discipline sur l’extermination (de la sensualité, de la fierté, du désir de dominer, de posséder et de se venger). – Mais attaquer la passion à sa racine, c’est attaquer la vie à sa racine : la pratique de l’Eglise est nuisible à la vie…
Nietzsche, Crépuscule des idoles, VI, 1
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