Entraînez-vous avec les sujets zéro du DNB 2018, série professionnelle
Épreuve de Français du DNB Série professionnelle
Sujet zéro
Vallès
L’action se passe au XIXe siècle : le narrateur est injustement puni à la suite d’une bousculade dans la cour.
J’ai été puni un jour : c’est, je crois, pour avoir roulé sous la poussée d’un grand, entre les jambes d’un petit pion1 qui passait par là, et qui est tombé derrière par-dessus tête ! Il s’est fait une bosse affreuse. […] Le pion s’est fâché. Il m’a mis aux arrêts ; — il m’a enfermé lui-même dans une étude vide, a tourné la clef, et me voilà 5 seul entre les murailles sales, devant une carte de géographie qui a la jaunisse, et un grand tableau noir où il y a des ronds blancs et la binette du censeur2 . Je vais d’un pupitre à l’autre : ils sont vides — on doit nettoyer la place, et les élèves ont déménagé. Rien, une règle, des plumes rouillées, un bout de ficelle, un petit jeu de dames, le cadavre d’un lézard, une agate perdue. 10 Dans une fente, un livre : j’en vois le dos, je m’écorche les ongles à essayer de le retirer. Enfin, avec l’aide de la règle, en cassant un pupitre, j’y arrive ; je tiens le volume et je regarde le titre
ROBINSON CRUSOÉ
Il est nuit. Je m’en aperçois tout d’un coup. Combien y a-t-il de temps que je suis dans ce livre ? — quelle 15 heure est-il ? Je ne sais pas, mais voyons si je puis lire encore ! Je frotte mes yeux, je tends mon regard, les lettres s’effacent ; les lignes se mêlent, je saisis encore le coin d’un mot, puis plus rien. J’ai le cou brisé, la nuque qui me fait mal, la poitrine creuse : je suis resté penché sur les chapitres sans lever la tête, sans entendre rien, dévoré par la curiosité, collé aux flancs de Robinson, pris d’une 20 émotion immense, remué jusqu’au fond de la cervelle et jusqu’au fond du cœur ; et en ce moment où la lune montre là-bas un bout de corne, je fais passer dans le ciel tous les oiseaux de l’île, et je vois se profiler la tête longue d’un peuplier comme le mât du navire de Crusoé ! Je peuple l’espace vide de mes pensées, tout comme il peuplait l’horizon de ses craintes ; debout contre cette fenêtre, je rêve à l’éternelle solitude et je me demande où je ferai pousser du pain… 25 La faim me vient : j’ai très faim. Vais-je être réduit à manger ces rats que j’entends dans la cale de l’étude ? Comment faire du feu ? J’ai soif aussi. Pas de bananes ! Ah ! lui, il avait des limons3 frais ! Justement j’adore la limonade !
Jules Vallès, L’Enfant, 1884
Jammes
La salle à manger
À M. Adrien Planté
Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand’ tantes,
qui a entendu la voix de mon grand-père
qui a entendu la voix de mon père.
5 À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
10 Je ne veux pas le lui demander.
Peut-être qu’elle est cassée,
la voix qui était dans son ressort,
tout bonnement comme celle des morts.
Il y a aussi un vieux buffet
15 qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C’est un serviteur fidèle qui sait
qu’il ne doit rien nous voler.
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
20 qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
— comment allez-vous, monsieur Jammes ?
Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, 1888-1897.
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Date de dernière mise à jour : 01/05/2021